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White Building (2021)
de Kavich Neang
publié le jeudi 23 décembre 2021

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection officielle de la Mostra de Venise 2021.
Prix du meilleur acteur pour Piseth Chhun

Sortie le mercredi 22 décembre 2021


 


Présenté à la Mostra de Venise 2021, White Building est la première fiction du metteur en scène cambodgien Kavich Neang, né après le génocide commis par les Khmers rouges. Son précédent film, Last Night I Saw You Smiling (2019) était déjà consacré à ce même "immeuble blanc", sous une forme documentaire. Le jeune cinéaste a en effet été formé à l’école de Rithy Panh, l’auteur de L’Image manquante (2013).(1) "White Building" désigne un complexe d’appartements du centre de Phnom Penh, qui date du début des années soixante, du temps où Norodom Sihanouk souhaitait moderniser la capitale. Son architecte, Lu Ban Hap, était un disciple de Le Corbusier. Vidé de ses habitants lors de la prise de la cité par les Khmers rouges en 1975, il fut laissé à l’abandon pendant quatre ans. À partir de 1980, le bâtiment fut squatté, en particulier par une communauté d’artistes. C’est là que grandit Kavich Neang, fils de sculpteur. L’immeuble fut démoli en 2017. Le film a une empreinte autobiographique assumée. (2)


 


 

Après une vue vertigineuse prise d’un drone qui ouvre le film peu avant l’intervention des bulldozers, le récit se déroule en triptyque : avant, pendant et après l’expulsion de près de cinq cents familles. Chaque partie ayant ses propres tonalité et durée.

La première, intitulée Bénédiction, commence allegro et sur un rythme dansant. Trois jeunes gens se filment en selfies, répétant, dans un des appartements du "bâtiment blanc", des figures de hip-hop mâtinées de gestuelle khmère. Ensuite de quoi ils sillonnent la ville. Les trois vitelloni sur le même scooter brinquebalant hèlent les filles au passage et vont se produire dans une gigantesque discothèque. Notre trio, avec les quelques riels (3) empochés, improvise une dînette, dans la nuit. Ce début relève du genre de films sur la fin de l’adolescence américains.


 


 


 

La Maison des esprits, section plus développée, est aussi infiniment plus grave. L’épée de Damoclès du déménagement à venir suscite des craintes existentielles et réveille les hantises du passé. Le White Building était alors convoité par une compagnie japonaise qui propose à ses habitants un dédommagement proportionnel à la surface occupée. Une partie des occupants refuse d’abord cette offre, mais, peu à peu, la résistance faiblit et chacun entreprend de faire ses cartons.


 


 

Les séquences sont descriptives qui montrent les murs lézardés, les fuites dans les canalisations, les coursives reliant les espaces, la vie communautaire menacée de disparaître. Ces scènes sont en réalité des reconstitutions, n’ayant pu être tournées in situ à l’époque mais mises en scène au Bloc TanPa (4) et dans l’ancien Institut Pasteur, qui datent de la même époque et sont à brève échéance, promis au même sort.


 


 

L’attention, dès lors, se concentre sur la famille de Samnang, l’un de nos hip-hoppers, et plus particulièrement, sur le personnage du père, qui est le "chef du village", chargé par les occupants de négocier avec la firme japonaise. Il mène les débats avec un grand sens de la démocratie. Son portrait se dessine avec netteté. Il a été l’un des artisans de la reconstruction sociale au lendemain de la guerre civile. Il est désormais malade. Le mal qui le ronge devient la métaphore du processus en cours.


 

La troisième partie, Mousson, est ouverte, qui montre le délogement, la délocalisation de cette famille, obligée de passer de la ville à la campagne, de changer de mode de vie. On voit clairement que le thème du film est l’attachement à un lieu. Dans le Cambodge actuel, ce lien n’a pas la même valeur suivant l’âge que l’on a. Le père fait corps avec le White Building, l’endroit où il put retrouver figure humaine grâce à son inscription dans un groupe. Le fils préserve certes ses souvenirs d’enfance, mais est sur le point de voler de ses propres ailes. Le film de Kavich Neang illustre avec une infinie sensibilité ce dialogue entre deux générations.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. L’Image manquante de Rithy Panh (2013), sélection officielle Un certain regard au Festival de Cannes 2013, nomination aux Oscars 2014.

2. Cf. "Entretien avec Kavich Neang", Jeune Cinéma en ligne directe

3. La monnaie cambodgienne.

4. Dans la décennie qui a suivi la chute des Khmers rouges, la ville de Phnom Phen a connu un grand désordre urbain, avec des "réinstallations spontanées". Le Bloc Tanpa, parmi d’autres, était un grand bidonville (avec sa propre organisation), situé au sommet d’un immeuble d’habitation, où vivaient près de 1 000 personnes. Il a été détruit par un incendie en 2002.


White Building (Bodeng Sar). Réal : Kavich Neang ; sc : K.N., Daniel Mattes ; ph : Douglas Seok ; mont : Félix Rehm ; mu : Jean-Charles Bastion. Int : Piseth Chhun, Hout Sithorn, Chinnaro Soem, Sovann Tho, Jany Min, Ok Sokha (France-Chine-Cambodge, 2021, 90 mn).



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