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Solo (1970)
de Jean-Pierre Mocky
publié le mercredi 4 mai 2022

par Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°45, mars 1970

Sortie le vendredi 27 février 1970


 


Construit comme un film policier, avec une sorte de rigueur nerveuse, sans faille, sur un rythme rapide, Solo a l’apparence d’un film d’aventures. C’était bien ce que voulait Jean-Pierre Mocky, son réalisateur. Mais de quelles aventures s’agit-il ?
"Nous sommes partis de l’idée très simple suivante : il y a eu une révolution en Mai 1968. Il y avait des gars qui faisaient des barricades, des jeunes qui se sont battus, qui ont déraciné des arbres, qui ont lutté contre les CRS, les forces de l’ordre. Ces jeunes étaient nombreux à ce moment-là. Six mois après, que sont-ils devenus ? Point à la ligne. Dans ce mouvement il y avait des gens sincères et des hypocrites. Alors j’ai pris un noyau de types qui étaient sincères, mais jeunes et inexpérimentés, qui ont voulu faire le coup de feu..." Ainsi s’exprime Jean-Pierre Mocky (1) à propos de son film, et il précise qu’il n’a voulu en faire ni un film vériste, ni un film politique, mais un film romanesque.


 

Film vériste ? Il ne l’est en effet certainement pas. La situation qu’il décrit est purement imaginaire, mais les actes commis effectivement par les jeunes héros de Solo pourraient facilement trouver une correspondance avec des actes que certains rêveraient de commettre. À tort ou à raison : la sympathie que Jean-Pierre Mocky manifeste à l’égard de ses quatre révolutionnaires, chacun bien défini par rapport à l’action entreprise, ne veut pas dire qu’il leur donne raison. Il les comprend mais il montre à quel point leur action reste isolée, inorganisée, et par là même désespérée. Ce constat - et celui qu’il fait avec férocité d’une société en plein pourrissement ou en pleine indifférence - est une dénonciation, sonne comme un appel. C’est pourquoi Solo, quoi qu’en dise le cinéaste, est un film politique. Mais comme on n’a pas l’habitude d’en voir.

Vincent Cabral (Jean-Pierre Mocky), séduisant violoniste de talent et non moins talentueux dérobeur de bijoux, exerce son double métier à bord d’un navire qui regagne la France. Un complice-recéleur l’accueille au Havre et ensemble ils roulent vers Paris. Ils ne savent pas alors que c’est la fin des aventures à la petite semaine, la fin d’une lucrative et relativement peu dangereuse forme d’exploitation d’une société méprisée.


 


 


 

Car Vincent Cabral va se trouver mêlé à une histoire beaucoup plus grave : son jeune frère Virgile et son commando extrémiste ont abattu tous les participants d’une "partouze" assez répugnante. Partouze que Jean-Pierre Mocky nous montre sans détours, en ne s’attardant pas plus qu’il ne faut, mais en ne ménageant ni les jeunes nymphettes, ni les vieux riches qui ont laissé au vestiaire - avec leurs habits - leur respectabilité, leur portefeuille et leur légion d’honneur afin de mieux s’ébattre.


 


 

À partir de là, et d’une dénonciation anonyme, le film devient une triple course contre la montre : la police met en place un dispositif gigantesque pour arrêter les fauteurs de troubles ; Vincent Cabral, tout en jugeant très sévèrement son frère, lui court après pour tenter de le sauver, et Virgile Cabral, bien que traqué, se hâte de poursuivre son œuvre d’assainissement en organisant le plasticage d’un restaurant de Paris où s’amusent quelques industriels européens influents. Finalement tous se retrouvent, et, dans une gare, si Virgile Cabral et son amie arrivent à s’échapper, Vincent Cabral meurt, en fin de compte complice conscient et à part entière des agissements de son frère.


 

Au travers de cette histoire, racontée sans phrases inutiles, avec une grande sûreté de moyens d’expression au niveau de la qualité et de l’impact de l’image comme à celui de l’agencement même du récit reposant sur une action qui ne se ralentit jamais, qui s’appuie sur un grand nombre de faits et un petit nombre de rebondissements tout en restant toujours claire, Jean-Pierre Mocky s’exprime sans faux-fuyant.


 


 

ll dit son écœurement d’une société hypocrite et injuste, sa nostalgie d’une jeunesse intransigeante et pure, son regret de voir cette même jeunesse rester aussi isolée et par conséquent se livrer à des excès qui risquent fort d’être sans lendemains. Il montre aussi l’indifférence d’un monde ouvrier qui fait ainsi le jeu du pouvoir. Jugement sévère et qui paraît la seule chose vraiment sommaire d’un film par ailleurs lucide et nuancé dans le choix des personnages et l’étude de leurs différentes motivations.
Mais sans doute faut-il voir là encore, le souci de Jean-Pierre Mocky de faire ressortir à quel point l’union de tous, jeunes et vieux, travailleurs et étudiants, serait nécessaire pour faire triompher un monde qui se voudrait meilleur.

Luce Vigo-Sand
Jeune Cinéma n°45, mars 1970

1. In Image et son n°235, janvier 1970.

* Sur Solo, cf. aussi "Jean-Pierre Mocky, une contestation obstinée", Jeune Cinéma n°58, novembre 1971.

* Sur Solo, cf. aussi "Monologue d’un solitaire", Jeune Cinéma n°58, novembre 1971.

* On trouve les films de Jean-Pierre Mocky, réédités en blu-ray, chez ESC Distribution.


Solo. Réal : Jean-Pierre Mocky ; sc : J.P.M. & Alain Moury ; ph : Marcel Weiss ; mont : Marguerite Renoir & Sophie Tatischeff ; mu : Georges Moustaki ; déc : Jacques Flamand & Françoise Hardy. Int : Jean-Pierre Mocky, Anne Deleuze, Denis Le Guillou, René-Jacques Chauffard, Marcel Pérès, Henri Poirier, Christian Duvaleix, Dominique Zardi (France, 1970, 83 mn).



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