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Cannes 2013 : Panorama-bilan
Cannes 2013, 66e édition (15-26 mai 2013)
publié le lundi 15 juillet 2013

"Il y a eu sur l’écran du sang, de la volupté, des larmes, de la mort et de l’amour, à doses bien partagées".
C’est ce que nous posions l’an dernier, en conclusion du compte rendu de la 65e édition. Pourquoi changer une formule aussi bien trempée, que l’on se fait fort d’utiliser de nouveau telle quelle, pour le bilan de la 67e, sans nous déjuger. Le propre d’un tel rassemblement de plusieurs dizaines de films est d’afficher tous les sujets qui interpellent les cinéastes de la planète - qui tiennent, en gros, à l’amour et à la mort, et aux diverses façons de pratiquer le premier et d’affronter la seconde.

On peut toujours trouver dans un programme ce qu’on y cherche, violence ou passion, et décider que telle est la physionomie du millésime, en déclarant, par exemple, que la compétition 2013 est celle du sexe triomphant (Kechiche, Guiraudie, Ozon, Soderbergh) ou du meurtre tous azimuts (Jia Zhang-ke, Escalante, Warmerdam, Refn).
Mais ce serait négliger les rapports familiaux compliqués (Kore-Eda, Bruni Tedeschi, Payne, Farhadi) ou les diverses addictions (Jarmusch, Desplechin, Polanski). Comme disait le poète, "Tout est dans tout, et le reste dans Télémaque".

La Palme d’or décernée à La Vie d’Adèle - encore une victoire tricolore, cocorico !, mais la présence de producteurs français dans 13 des 22 films de la compétition rendait plus accessibles la récompense - et la puissance du film ont quelque peu éclipsé d’autres titres. Abdellatif Kechiche est un cinéaste, incontestablement, qui parvient comme peu d’autres à pousser une séquence au-delà de ses limites ; il est dommage qu’il se veuille également scénariste et qu’il ne dispose pas de producteurs père-fouettards qui le canalisent. Ce qui aurait permis, à la place d’un torrent de trois heures, charriant à la fois l’extraordinaire et l’inutile, d’obtenir un film de moindre durée mais de plus grande dimension, autrement précieux. Qu’il dompte un jour son démon de la démesure, il n’aura plus guère de concurrents.

Une parenthèse : si l’on peut se réjouir de la prééminence de la production hexagonale, à un moment où le maintien de l’exception culturelle est en question, l’état des lieux planétaires ne manque pas d’inquiéter : France et États-Unis exceptés, les pôles cinéma présents à Cannes se réduisent à l’Amérique latine (Mexique et Argentine) et à l’Extrême Orient (Japon, Chine, Philippines). Les pays de l’Est et la Scandinavie ont disparu des radars, l’Afrique noire survit péniblement. Un panorama aussi tronqué augure mal de l’avenir immédiat.

Le reste de la sélection officielle, sans atteindre la qualité de la mémorable édition 2011, était d’un fort bon niveau, avec quelques titres exceptionnels - A Touch of Sin de Jia Zhang-ke, notre palme secrète, regard sidérant sur la Chine de 2013, La grande bellezza (le plus beau film de Paolo Sorrentino dont la critique va peut-être enfin reconnaître la valeur) - et un cran en-dessous, Le Passé de Asghar Farhadi, Nebraska de Alexander Payne et le savoureux retour aux affaires de Alex van Warmerdam, réalisateur trop rare sur lequel nous reviendrons plus longuement lors de la sortie de son Borgman.

Peu de déceptions au finale, sinon le répulsif Only God Forgives de Nicolas Winding Refn, pris de vertige après le succès de Drive, Shield of Straw de Takashi Miike (90 films en 21 ans, du meilleur au facile, comme ici) et Un château en Italie de Valeria Bruni Tedeschi, déballage familial intime à la limite de l’indécence.
Inside Llewyn Davis des Coen Bros a ravi les amateurs de la scène folk des années 60 (mais sommes-nous nombreux ?). Et si Roman Polanski travaille en roue libre, Jim Jarmusch parvient à nous émouvoir discrètement avec ses vampires dandies en déshérence.

On trouvera plus avant, outre la compétition, les titres des sections parallèles qui nous ont retenus.

Derrière L’Image manquante de Rithy Panh, superbe essai documenté digne de Chris Marker, ils sont nombreux, de Grand Central de Rebecca Zlotowski à Miele de Valeria Golino, en passant par My Sweet Pepper Land de Hiner Saleem, Wakolda de Lucia Puenzo, As I Lay Dying de James Franco ou The Selfish Giant de Clio Barnard à mériter un détour.
Tous trouveront-ils le chemin des salles ? Rien n’est moins sûr.

Pas beaucoup de comédies, cette année encore. La comédie est décidément un exercice périlleux, qui ne pardonne pas l’à-peu-près ou le manque d’écriture fignolée. Question de scénariste. Sous peine de verser dans la confidence gentiment nombrilique (Guillaume Gallienne), ou dans l’essai de détournement parfaitement creux, avec Tip Top de Serge Bozon.
N’ayant pas vu, malgré ses échos favorables, La Fille du 14 juillet de Antonin Peretjako, nous lui laissons le bénéfice du doute. Le titre le plus réussi, dans le genre, reste 2 automnes, 3 hivers de Sébastien Betbeder, foutraque et mal peigné, aux ambitions minuscules, mais joliment atteintes.

Curieusement, ce ne sont pas les maîtres du polar, reconnus, Johnnie To et Takashi Miike, ou nouveaux, Anurag Kashyap, qui ont réalisé les meilleures prestations, mais des inattendus à ce niveau, tels Guillaume Canet, dont Blood Ties fait oublier ses calamiteux Petits Mouchoirs, et Jérôme Salle, dont l’adaptation de Zulu de Caryl Férey, constitua une excellente surprise.
Notons le nom du débutant Amit Kumar, auteur d’un Monsoon Shootout plein de promesses. Outre cet inconnu indien, les à-côtés officiels, en journée ou à minuit, ont offert quelques séances savoureuses, comme ce surprenant All Is Lost de Jeffrey C. Chandor, bel écrin pour un Robert Redford magnifiquement vieilli, ou Muhamad Ali’s Greatest Fight, tourné pour la chaîne HBO (et qui ne parviendra sans doute pas sur nos écrans) par Stephen Frears, à l’aise quel que soit le support.
Quant aux 220 minutes du Dernier des injustes de Claude Lanzmann, une bonne centaine, au moins, est passionnante, celles tournées en 1975 avec le survivant du ghetto de Theresienstadt.
Il y aurait beaucoup à dire encore - ce sera fait tout au au long du numéro.
Et dans onze mois, on recommence.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 352-353, juillet 2013



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