Distinto amanecer est l’adaptation d’une pièce de Max Aub (1), La vida conyugal (1942). Cela commence comme un film noir, au moment où Hollywood délaissait provisoirement ce genre, privilégiant ceux destinés à préparer l’opinion publique à l’entrée en guerre.
Un leader syndical venant d’être assassiné, un de ses plus proches camarades, veut retrouver des documents mettant en cause le gouverneur censé avoir commandité ce crime. Ceux-ci se trouvent à la poste centrale, dans une boîte dont il a la clé.

Octavio, le protagoniste, joué par Pedro Armendáriz, est pris en filature par un individu portant des lunettes noires. Il s’en aperçoit et se réfugie dans un cinéma où l’on projette le premier film de… Julio Bracho, Ay, qué tiempos, señor Don Simón ! (1941). Le hasard faisant bien les choses, il se trouve assis à côté d’une femme par lui jadis aimée, Julieta, qui avait épousé son meilleur ami. Du thriller, on passe alors au film sentimental avec le schéma classique du triangle amoureux - le mari n’étant pas, lui, vraiment ravi. La jeune femme lui propose de se cacher dans son domicile. Le récit vire alors au naturalisme, montrant les conditions de dénuement de l’époque à Mexico.

Pour arrondir ses fins de mois, Julieta chante dans un night-club. Bien vite, l’homme aux lunettes noires réapparaît, sonne à la porte de l’appartement, se faisant passer pour un agent de la compagnie d’électricité. Sous ses faux airs de film noir, avec ses personnages louches prêts à tout, Distinto amanecer critique la corruption des puissants et des responsables politiques. La poésie du film résulte du contraste entre la brutalité des situations et les idéaux de jeunesse des principaux personnages.

La vedette du long métrage est la grande ville, avec les rues étroites où l’on peut disparaître, les paysages nocturnes, le trafic des grosses automobiles américaines. Il faut dire que Julio Bracho s’est assuré le concours du grand chef-opérateur Gabriel Figueroa, qui a l’art de brouiller les pistes. L’espace tout entier qu’il donne à voir est un dédale où les humains sont en fuite permanente, confrontés à l’obscurité et à l’effroi. La dernière scène filmée dans ce qui fut la gare centrale de la capitale vaut à elle seule le détour.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°422, mai 2023

1. Max Aub (1903-1972), né à Paris et mort à Mexico, se définit comme un "écrivain espagnol". Romancier et dramaturge, il fut aussi scénariste d’une quarantaine de films, notamment de Espoir, sierra de Teruel de André Malraux (1940) ou de Los Olvidados de Luis Buñuel (1950).

 
* La Cineteca Nacional de Mexico, créée en 1974, a brûlé en 1982. Lourd bilan : six morts, destruction de la bibliothèque, des deux cinémas et de 6 000 bobines de films. Elle a pu récupérer toutes les fictions déposées à l’Université, ou chez les les distributeurs et a rouvert dans de nouveaux locaux en 1984.

En France, le cinéma mexicain a commencé à être diffusé à l’automne 1992, avec une rétrospective à Beaubourg (28 octobre 1992-1er février 1993) et au Festival des 3 continents à Nantes 1992, avec une section spéciale consacrée aux rumberas (cinéma des cabarets des bas-fonds).
En 1999, le Forum des images a programmé Portraits de Mexico (1er septembre-24 octobre 1999).
En 2011, Roberto Gavaldón (1909-1986) a été redécouvert à la Cinémathèque française (13 avril-30 mai 2011), et au Festival d’Amiens : Lumières mexicaines : Gavaldón, Figueroa et quelques autres.

Dans la connaissance du cinéma mexicain, les Films du Camélia tiennent une place capitale.
En 2021, ils ont sorti en salle 5 nouveaux films inédits de Roberto Gavaldón.
En 2023, ils réitèrent une opération analogue avec une rétrospective de Cinq films noirs de l’âge d’or du cinéma mexicain.

Une aube différente (Distinto amanecer). Réal : Julio Bracho ; sc : J.B., Xavier Villaurrutia & Max Aub d’après sa pièce La vida conyugal(1942) ; ph : Gabriel Figueroa ; mont : Gloria Schoemann ; mu : Raúl Lavista. Int : Andrea Palma, Pedro Armendáriz, Narciso Busquets, Maruja Grifell, Kiko Mendive (Mexique, 1943, 108 mn).