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Manfredi, Nino (1921-2004)
Une vie, une œuvre
publié le mercredi 3 juin 2015

par Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°290, été 2004


 


Né à Frosinone en 1921, il fut un des plus grands acteurs de l’après-guerre, peu reconnu en Italie, malgré sa popularité, et mal connu à l’étranger. Sa carrière est exemplaire. Il joue les troisièmes couteaux dans les années cinquante, fait l’antagoniste de Alberto Sordi en 1958 dans Venise, la lune et toi de Dino Risi (1958), et la critique remarque ce nouveau venu. C’est seulement en 1960, avec Crimen de Mario Camerini (1960), l’histoire de trois innocents soupçonnés d’un crime à Monte-Carlo, qu’il s’impose, face à Vittorio Gassman (1922-2000) (1) et Alberto Sordi (1920-2003), comme un des grands du cinéma italien, dans le rôle d’un jeune marié venu, le temps d’un week-end, goûter la grande vie au casino.


 

Ces années soixante égrènent les succès croissants de sa carrière. Il est engagé par tous les grands du cinéma. Luigi Comencini (1916-2007) dans A cavallo della tigre (1961) lui offre un très beau rôle, celui d’un pauvre prisonnier forcé de partager l’évasion de trois criminels, et qui, finalement, se fait arrêter pour que sa femme touche la prime promise à qui le dénoncerait.


 

Dans La Parmigiana (1962) et Io la conoscevo bene (1965), tous deux de Antonio Pietrangeli (1919-1968), (2) sa prestance et son beau visage de type romain lui valent un personnage cynique d’exploiteur de femmes à qui il promet de belles carrières dans le monde de la télé ou du cinéma. Mais c’est avec Ettore Scola (1931-2016) qu’il peut développer la gamme de tous ses personnages, dans Nos héros réussiront-ils à retrouver leur ami mystérieusement disparu en Afrique ? (1968). Extravagant, dans le rôle de l’ami disparu que Alberto Sordi (1920-2003) et Philippe Noiret (1930-2006) retrouvent en roi d’une tribu noire, devin et maître de la pluie.


 

C’est surtout dans ces années bénies qu’il aborde magistralement sa première réalisation : L’Aventure d’un soldat (1962) tiré d’une merveilleuse nouvelle de Italo Calvino (1923-1985). Un rôle muet, celui d’un soldat, dont l’attirance sexuelle est déclenchée par les odeurs corporelles et le contact de deux cuisses (3). Un autre sketch, en 1965, dirigé par Ettore Scola, Il vittimista (4) brocarde un mari qui soupçonne sa femme de vouloir l’assassiner parce qu’elle est allemande, et qui est effectivement tué, mais par sa maîtresse. Par ailleurs, dans Le Bourreau de Luis Berlanga (1921-2010), il interprète un timide qui s’évanouit à la vue du sang (5).


 

En 1969, le succès triomphal de Nell’anno del Signore le place définitivement au niveau des grands et inaugure une nouvelle collaboration avec Luigi Magni, le poète de Rome (6). Il y joue un personnage aux deux visages, petit bonhomme méprisé le jour, et rebelle la nuit, une figure légendaire qui pose des affiches de protestation sur la statue de Pasquino, près de la piazza del Popolo.


 

Luigi Magni lui offrira, beaucoup plus tard, un rôle antithétique, celui du cardinal conseiller du pape dans In nome del Papa re (1977), et, finalement, un personnage désopilant dans La Passion selon Ponce Pilate, (1987) avec sa version inédite du lavage des mains.


 

En 1970, sort Per grazia ricevuta (Miracle à l’italienne), dont Nino Manfredi est à la fois scénariste, réalisateur et acteur. C’est un film autobiographique, qui dénonce, entre sourires, bonnes blagues et mélodrame, le massacre de l’enfance perpétré par la religion et les prêtres. Miraculé d’une chute mortelle, consacré à son saint patron, obsédé par la terreur du péché, il se réfugie chez des moines qui le renvoient dans le grand monde. L’amitié d’un pharmacien anarchiste le rend à la normalité jusqu’à l’incident final (7).


 

Les années soixante-dix confirment le succès de l’acteur et l’envergure de ses prestations. Ses meilleurs films, Les Aventures de Pinocchio de Luigi Comencini (1971), Pain et chocolat de Franco Brusati (1973), les deux films de Ettore Scola, Nous nous sommes tant aimés (1974), Affreux, sales et méchants (1975), et même l’expérience extrême et risquée de Mesdames et Messieurs, bonsoir (1976), sont sortis en France et nous n’y reviendrons pas (8). Rappelons pourtant que le brancardier qu’il incarne dans Nous nous sommes tant aimés, le pauvre type lâché par sa fiancée, tracassé dans son métier, est, in fine, sans avoir jamais trahi ni ses amis, ni celle qu’il aime, ni ses convictions communistes, le vrai gagnant. Inversement, le monstrueux Giacinto des borgate romaines dans Affreux, sales et méchants a des moments d’innocence, et Nino Manfredi, seul acteur de métier, a construit son personnage en observant ses partenaires, tous pris par Ettore Scola dans leur réalité.


 


 

Notons enfin un film, inconnu en France et ignoré parfois des dictionnaires, Girolimoni, il mostro di Roma de Damiano Damiani (1972), histoire d’un honnête homme accusé par les autorités fascistes d’avoir assassiné un bébé, qui est un chef-d’œuvre. La dénonciation d’une affaire montée pour détourner l’attention de la politique, une prestation bouleversante, qui met à nu l’anéantissement d’un homme.


 

Nino Manfredi est mort le 3 juin 2004, évitant de justesse l’arrivée de George W. Bush, à Rome, le lendemain.

Andrée Tournès
Jeune Cinéma n°290, été 2004

1. Cf. "Entretien avec Vittorio Gassman", Jeune Cinéma n°90, novembre 1975.

2. "Je la connaissais bien", Jeune Cinéma n°377, décembre 2016

3. L’Aventure d’un soldat (L’avventura di un soldato) de Nino Manfredi (1962) est un des épisodes du film à sketches Les Amours difficiles (L’amore difficile, 1962). Les autres sketches sont Il serpente de Alberto Bonucci, L’avaro de Luciano Lucignani et Le donne de Sergio Sollima.

4. Il vittimista de Ettore Scola (1965) est un segment du film à sketches Thrilling. Nino Manfredi y joue un professeur de latin inquiet. Les autres sketches sont L’autostrada del sole de Carlo Lizzani et Sadik de Gian Luigi Polidoro.

5. Le Bourreau (El verdugo) de Luis Berlanga (1963) est une production franco-espagnole.

6. Les Conspirateurs (Nell’anno del signore) de Luigi Magni (1969), grand succès en Italie, est sorti en France le 27 juillet 1972.

7. "Miracle à l’italienne", Jeune Cinéma n°60, janvier 1972.

8. "Nous nous sommes tant aimés", Jeune Cinéma n°278, spécial Ettore Scola, octobre-novembre 2002.
"Affreux, sales et méchants", Jeune Cinéma n°96, juillet 1976 et Jeune Cinéma n°278, octobre 2002, spécial Ettore Scola
"Mesdames et Messieurs, Bonsoir !" film collectif, Jeune Cinéma n°113, octobre 1978.



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