De nouveau un film à "dispositif", comme Les Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania (2023) et Little Girl Blue de Mona Achache (2023), à cheval entre documentaire et fiction, ce qui pourrait être une position difficile à tenir, mais qui se révèle en définitive tout à fait profitable. Y aurait-il création d’un sous-genre ? Qu’il s’agisse de trois œuvres réalisées par des femmes est intéressant : les cinéastes masculins se méfieraient-ils de cet écartèlement, du caractère hybride de ces films qui refusent au spectateur la certitude et le confort : "devant quoi je me trouve ?"

On hésite constamment, durant la projection, entre le réel et sa représentation : un portrait de la famille de la réalisatrice marocaine, avec son incroyable grand-mère, ses parents taciturnes, le voisin qui dévoile à la fin ce que cachait tout ce que l’on a pu voir depuis le début, à savoir le souvenir de la répression à Casablanca, qui a suivi les "émeutes du pain" de 1981, tellement occultées qu’il n’en demeure rien, une vieille photo exceptée.

Tout se passe à huis clos, dans l’appartement collectif, chacun étant occupé à la construction d’une immense maquette reconstituant tout le quartier environnant, les maisons et leur intérieur inclus. Le père, ancien maçon, a tout reconstruit à l’identique, la mère a taillé et cousu les vêtements que portent les figurines en pâte à modeler représentant les habitants, ainsi que les soldats responsables du massacre commis en juin 1981, et même les cadavres.

Toute l’activité familiale ne prend sa signification que lors de l’intervention du voisin déjà cité : on saisit la fonction d’exorcisme de la chose - comme L’Image manquante de Rithy Panh (2013) (2) pour traduire le génocide des Khmers rouges.
Tous les participants sont des survivants qui revivent leur drame à travers les marionnettes, sans hiatus ni pathos, dans un propos émis mezza voce et qui n’en est que plus déchirant. Le film est on ne peut plus personnel, puisqu’il a été scénarisé, produit, réalisé, interprété et monté par l’auteure.

Lucien Logette
Jeune Cinéma n°423, été 2023

1. "Les Filles d’Olfa", Jeune Cinéma n°423, été 2023.

2. "L’Image manquante" Jeune Cinéma n°352-353, été 2013.

La Mère de tous les mensonges (Kadib Adyab). Réal, sc, mont : Asmae El Moudir ; ph : Hatem Nechi ; mu : Nass El Ghiwane ; déc : Nabil Ghaouat. Int : Ouadia Zorkani, Zahra Jeddaoui, Asmae El Moudir, Abdallah El Zouir, Mohammed El Moudir (Maroc-Égypte-Qatar, 2023, 96 mn).