Avec ce deuxième opus, après Photo en 2012, Carlos Saboga, qui fut, entre autre, scénariste de Raúl Ruiz pour Les Mystères de Lisbonne, nous propose un petit bijou de précision et d’intimité, présenté comme un huis-clos.

Commencé comme un film historique avec des images d’archives, À une heure incertaine nous fait entrer de plain-pied dans un pan de l’histoire du Portugal peu ou mal connue.

Le film met en scène un hôtel de la grande époque, désormais abandonné, dans un Portugal dominé par Salazar, qui a tenu son pays à l’écart de la Seconde Guerre mondiale. Durant cette dernière, le pays, pourtant dominé par une dictature de fer qui lui survivra, accueille nolens volens des réfugiés notamment juifs qui attendent un navire pour rejoindre l’Amérique. Le film raconte l’histoire de deux réfugiés juifs français, frère et sœur, Boris et Laura, arrêtés par la police portugaise. Mais l’inspecteur Vargas tombe amoureux de Laura et il décide de cacher les deux Français dans l’hôtel désert où il vit avec sa fille Ilda, son épouse gravement malade et leur jeune domestique dont le charme ingénu ne laissera pas indifférent le policier subalterne de Vargas.

Voici dessinée une histoire mêlant à la fois l’Histoire, l’amour et les sentiments ambigus tels que la jalousie et le pouvoir, en évoquant curieusement les atmosphères buňueliennes.
Dans un décor magnifique et épuré, aux belles couleurs sombres, Carlos Saboga sait tisser les fils d’un drame dans lequel on peut lire en filigrane le destin du monde, fait de doutes, de trahisons et d’amours pas souvent partagées.

"Un univers en clair-obscur, où seuls les bruits extérieurs font parvenir des échos sporadiques de la vie urbaine et, à travers la radio et les bribes de la bande sonore des actualités du cinéma voisin, le fracas de la guerre qui se poursuit ailleurs."

On pense bien sûr ici à Une journée particulière, dans lequel le brouhaha du speaker qui commente la rencontre entre Mussolini et Hitler entre par les fenêtres de l’appartement - comme si la guerre, s’imposait à nous même dans des lieux qui s’en veulent détachés, avec la même force que dans les tragédies grecques où la mort et la guerre ont le visage de la fatalité.

À une heure incertaine parvient avec maestria à nous montrer le drame de ces personnes qui tentent d’échapper, les uns à la déportation, les autres à leur classe sociale ou à la guerre, sans vouloir abandonner leurs prérogatives ou leur petit pouvoir. Remarquable.

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe (février 2016)

À une heure incertaine (A Uma hora incerta). Réal, sc : Carlos Saboga ; ph : Mario Barroso ; mont : Monique Dartonne ; mu : Alain Jomy. Int : Joana Ribeiro, Paulo Pires, Judith Davis, Grégoire Leprince-Ringuet, Filipa Aerosa (Portugal, 2016, 75 mn).