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Chambre des officiers (la) (2001)
de François Dupeyron
publié le samedi 27 février 2016

par Gérard Camy
Jeune Cinéma n°270, septembre-octobre 2001

Sélection officielle du festival de Cannes 2001

Sortie le mercredi 26 septembre 2001


 

Dans les premiers jours d’août 1914, Adrien, jeune et séduisant lieutenant, part à cheval en reconnaissance. Un obus éclate. La moitié de son visage est emportée. Plus de dents, plus de palais. Adrien ne peut plus parler.
La guerre, c’est au Val-de-grâce qu’il va la passer.

Cinq ans entre parenthèse dans une chambre, avec quelques officiers, compagnons d’infortune. Une pièce sans miroir, où chacun se voit dans le regard de l’autre. Cinq ans aussi qui lui permettent de nouer des amitiés irréductibles, cinq ans entre rejet et désespoir pour accepter sa différence et se préparer à l’avenir, à la vie qui reprend se droits dans l’immédiat après-guerre.

Avec le très long plan d’Adrien cloué au sol, fauché dès la première bataille, la caméra à ses côtés, le souvenir de Johnny Got His Gun de Dalton Trumbo (1971) surgit entre deux réflexions en voix off, pensées d’Adrien tentant de comprendre sa terrible situation.

Mais si le film américain se présentait comme une tragédie absolue, pamphlet violent contre la guerre et regard pessimiste sur l’humanité, La Chambre des officiers se présente comme l’histoire d’un homme détruit qui découvre en lui la force de vivre, qui renoue avec le désir, avec l’humour.

Mais si la guerre n’est bientôt plus qu’en arrière-plan, Dupeyron ne l’oublie pas.
Les regards des convalescents, l’entassement des hommes de troupe blessés au rez-de-chaussée de l’hôpital, en contraste avec la tranquillité fébrile qui règne à l’étage, ou encore la remise de médaille aux gueules cassées : tout la rappelle, avec son cortège de violence, de cynisme, de mort.


 

Dans cette bulle hors du temps qu’est la chambre réservée aux officiers, trois hommes et une femme vont s’aider, se reconstruire ensemble.
Avec eux, un médecin militaire (Dussolier) à la fois un peu fou et très humain, mêlant compassion et sévérité et qui, sur les traces sanglantes de la mort, traque la vie. Et Anaïs l’infirmière (Azéma), à la fois femme et ange, se penche sur leurs lits, plongeant ses yeux pétillants et graves dans leurs regards inquiets. Ces hommes défigurés ont trouvé ce qui peut leur donner une chance de s’en sortir.


 


 

À l’extérieur de la chambre, les hommes meurent pour s’emparer d’une colline perdue ou d’une tranchée abandonnée. À l’intérieur de la chambre, se joue aussi un combat pour reconquérir une dignité. Mais ce combat, personnel, poignant, de ceux qui ne retrouveront jamais ce qu’ils ont perdu, débouche sur une paix et une force intérieures qui ne laissent plus aucune place au conflit.

"De dos, t’es pas mal".
C’est avec cette réplique drôle et chaleureuse, loin de tout cynisme apparent, que la vie d’Adrien reprend, avec le droit d’aimer et d’être aimé.

Dans la gare, au début, il rencontre Clémence pour une étreinte fugace qui lui donne l’impression d’exister encore avant la guerre qui vient.
Dans le métro, à la fin, il se cache derrière sa main, se détourne, brûlé par le regard apeuré dune petite fille. Et puis, peu à peu, il retrouve le goût du jeu (celui qui lui avait permis d’aborder Clémence). Avec la légèreté de l’enfant qui joue avec ses angoisses, il retire son chapeau, cache son visage puis le découvre lentement. La petite fille rit. Elle l’accepte comme lui est en train de s’accepter tel qu’il est. Il sourit. Échange précieux et reconnaissance miraculeuse…
Comme un peu plus tard, dans la rue, une portière de voiture ouverte avec vigueur par une jeune femme le frappe au visage. Nulle colère, mais une fois encore le jeu avec sa blessure et la stupeur de la demoiselle… sa future épouse.

Épilogue plein d’espoir, presque irréel, que certains reprocheront à l’auteur. Et pourtant, si logique dans ce film finalement optimiste, juste et beau, chargé d’humanisme et traversé par des personnages touchants et solidaires.

Loin des modes, François Dupeyron démontre une grande maîtrise technique au service d’une sensibilité qui évite sensiblerie et lyrisme inutiles.
Choisissant, pendant plus de trente minutes, de ne pas montrer le visage d’Adrien, il refuse tout voyeurisme.
Et soudain, un reflet dans une fenêtre. La blessure apparaît au spectateur comme elle fait irruption dans la vie d’Adrien. Une blessure que le chef-opérateur Nagata saura laisser dans une pénombre à la fois délicate et impitoyable, et cadrer pour éviter toute compassion, mais nous faire partager quand même son long chemin de croix.

Gérard Camy
Jeune Cinéma n°270, septembre-octobre 2001

La Chambre des officiers. Réal : François Dupeyron ; sc F.D. d’après le roman de Marc Dugain ; ph : Tetsuo Nagata ; mu : Jean-Michel Bernard ; mont : Dominique Faysse, décors : Patrick Durand ; cost : Catherine Bouchard. Int : Éric Caravaca, Denis Podalydès, Gregori Dérangère, Sabine Azéma, André Dussolier, Isabelle Renault, Géraldine Pailhas, Jean-Michel Portal, Guy Tréjan, Catherine Arditi, Paul Le Person, Alain Rimoux, Daniel Znyk (France, 2001, 135 mn).

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