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Shutter Island (2010)
de Martin Scorsese
publié le lundi 7 mars 2016

par René Prédal
Jeune Cinéma 329-330, printemps 2010

Sortie le mercredi 24 février 2010


 

Adapté d’un roman noir à succès de Dennis Lehane paru en 2003, Shutter Island est un brillant polar virant à un fantastique angoissant.

Au gré de l’approfondissement de thèmes scorsesiens par excellence - folie et violence -, le récit brouille en effet autant l’esprit du personnage principal que celui du spectateur piégé par une intrigue complexe.


 

Mêlant le vrai et le faux, la narration rocambolesque obscurcit progressivement l’histoire par accumulation de rebondissements spectaculaires et de longues explications dialoguées d’une logique à première vue implacable, alors qu’elles développent subversivement le doute et minent systématiquement tous les repères ou signes qui auraient pu conduire à découvrir la vérité.

Nous sommes au cœur des années 50, le cinéma de genre hollywoodien est à son apogée, et Scorsese plante un décor digne des films d’horreur de l’époque (un hôpital psychiatrique pour criminels fous installé dans un ancien château fort sur un îlot désert) où débarquent deux policiers au milieu d’une tempête nocturne apocalyptique.

Le thriller vire donc aussitôt au H. Picture tandis que Leonardo DiCaprio perd sa superbe de star dès sa première apparition à l’image où il est en train de vomir dans les toilettes du ferry.
En fait, le marshal Teddy Daniels qu’il incarne est hanté (souvenirs, visions ? On ne sait) par des images déstabilisantes, variations poético-horrifiques sur les thèmes de l’eau, du feu et du sang qui envahiront progressivement la réalité jusqu’à s’y substituer complètement par interpénétration des lieux, vampirisation des personnages, et ambiguïté de l’enquête, cela jusqu’au naufrage total du principe de réalité du film lui-même.


 

Scorsese surligne, multiplie effets scénaristiques (poursuites, frayeurs de toutes sortes) comme de mise en scène (montage, cadrages, éclairages), faisant basculer à plusieurs reprises psychologies et statuts des protagonistes (par exemple : le pool médical est-il composé de savants fous, d’expérimentateurs monstrueux ou, au contraire, de psychanalystes d’avant-garde ?).

Les clichés attendus sont habilement travaillés, si bien que le surgissement de centaines de rats caractéristiques des hallucinations de delirium tremens est intelligemment combiné avec de graves traumatismes de guerre vieux de dix ans, liés à la libération des camps de concentration ainsi qu’à un fort sentiment de culpabilité relatif à des meurtres vengeurs perpétrés dans le feu démentiel des combats.

Le fantastique psychique submerge ainsi le suspense policier et la paranoïa du héros est constamment nourrie par les montées de tension dramatique.

Un bémol cependant à cette réussite : le film est davantage ludique que réflexif, plus exercice de style que création expressive, bref plutôt du côté des Nerfs à vif que de Taxi Driver.


 

Une fois déploré ce manque relatif de substance et de densité (mais d’ailleurs aussi, paradoxalement, de légèreté dans la forme : style Clouzot, là où on aurait préféré Hitchcock), ne boudons néanmoins pas notre plaisir.
Car, lorsque l’on est, comme ici, au Grand-Guignol, l’outrance fait partie du cahier des charges, et Scorsese en joue avec un art consommé de la démesure.

René Prédal
Jeune Cinéma 329-330, printemps 2010.

Shutter Island. Réal : Martin Scorsese ; sc : Laeta Kalogridis, d’après Dennis Lehane ; ph : Robert Richardson ; mu : Robbie Robertson ; déc : Dante Ferreti ; mont : Thelma Schoonmaker. Int : Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo, Ben Kingsley, Michelle Williams, Max von Sydow (USA, 2009, 137 min.).

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