par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 6 avril 2016
Certains films se méritent car ils ne sont pas d’une approche aisée.
Il en va ainsi pour le onzième film de Éric Bu, qui s’emploie à raconter la genèse d’un spectacle théâtral et musical inspiré du Dom Juan de Molière.
Si la mise en place est un peu chaotique, on est assez rapidement ébloui, et on regrette de ne pas avoir pu voir Festin au Festival d’Avignon ou au théâtre d’Orly, par la troupe Les Épis noirs.
"Je connais Les Épis Noirs depuis de nombreuses années, déclare le réalisateur dans le dossier de presse.
Je me souviens de la révélation qu’à été Flon-flon, ou la véritable histoire de l’humanité à Avignon il y a une vingtaine d’années. Ils ont été à l’origine de mon amour pour le théâtre, au même titre que La Danse du diable de Philippe Caubère. Un théâtre généreux, drôle, poétique, avec une énergie et une qualité d’écriture rare. Et avec des chansons magnifiques."
Le film commence de plain-pied dans cette vie de saltimbanques : on voit les actrices s’installer dans une tente dans les faubourgs d’Avignon, un jour d’été.
On craint d’abord un film comme l’amphigourique Les Ogres de Léa Fehner.
Puis ces actrices et leur directeur de troupe-metteur en scène-acteur, Pierre Lericq, parcourent les rues d’Avignon pour faire la promotion de leur spectacle. Nous allons assister à la genèse douloureuse d’un spectacle collectif, avec les doutes, les discutailleries, les querelles à peine voilées.
C’est ainsi que se crée une œuvre et Éric Bu le reconnaît de façon très lucide : "La création passe par ces phases, et pour moi il était important de pouvoir le montrer, ça fait partie du travail et c’est surtout intéressant de montrer que tout le monde prend plus au moins sur soi pour dépasser ces tensions, et pour rester au service du spectacle, qui reste l’objectif final. Et puis étant donné la liberté que me laissait Pierre, je savais qu’au bout du compte, Pierre saurait en apprécier la vérité. La mauvaise foi, par exemple, ce n’est pas un crime, c’est le quotidien du metteur en scène qui cherche sa vérité à travers les autres tout en prétendant la connaître… Et après la première vision du premier montage, Pierre m’a d’ailleurs déclaré que je venais de lui économiser cinq ans de psychanalyse !"
Le film montre alors les répétitions, là où tout le monde cherche sa voie et sa voix, où les musiques sont inabouties et les morceaux chantés presque faux, dans une sorte de pétaudière qui sert pourtant de chaudron à une potion qui s’avèrera magique.
Après ces quelques instants d’approche, le film avance vers la lumière.
Éric Bu a eu raison de progresser au plus près de cette sorte d’enfantement dans la douleur, restant à distance, tout en étant à la fois proche de ces actrices parfois au bord de la crise de nerfs.
"Je leur ai dit : Je veux comprendre comment le travail vous travaille de l’intérieur. Ce qui était un peu prétentieux, ajoute-t-il, mais a eu l’avantage de mettre d’emblée au centre quelque chose d’intime, pour moi comme pour eux. Et puis j’ai retenu la leçon de Johan van der Keuken, à savoir "Toujours filmer à une distance permettant au sujet de vous casser la gueule s’il n’est pas d’accord !"
Le point d’orgue, c’est la première représentation au théâtre d’Orly.
Lorsque les trois coups sont frappés, on découvre alors des extraits d’un spectacle à la manière de Fellini : la mise en scène appelle le cirque, la musique mais aussi une manière de mettre en scène les rapports homme/femme, comme le Maestro le fit pour Fellini-Casanova ou La città delle donne.
Entouré de treize femmes, comme un chœur antique, le pauvre dom Juan perd de sa superbe et chante son désespoir dans des tableaux magnifiques dont on retiendra deux passages : la rencontre avec sa mère (encore du Fellini !) et le moment où il revêt une robe de mariée toute blanche pour devenir à son tour femme désespérée. Un beau spectacle pour un très beau film.
Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma en ligne directe (avril 2016)
Le Festin de Pierre. Réal, ph : Éric Bu ; mont : Marguerite Teulet ; son : Stéphane Isidore. Int : Pierre Lericq, Anaïs Ancel, Manon Andersen, Catherine Bayle, Soulafe Benmoulay, Clothilde Daniault, Muriel Gaudin, Constance Gay, Céline Laudet, Lydie Ledoeuff, Marie Reache, Lucie Reinaudo, Chantal Trichet ainsi que Acàrio Andrade (musicien), Perrine Brudieu, Edith Chistoph, Patrice Besombes, Sébastien Libolt, Nicolas Lepont, Jean-Pierre Spirli, Thibault Sauvaigne (Les Épis noirs) (France, 2015, 80 mn).