par Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 6 avril 2016
Dès lors qu’on attente au droit "d’aller et venir", constitutionnel depuis 1789, il s’agit d’arrestation et d’incarcération. Peu importe le nom, et du "regroupement" au "transit", à la "rétention", à "l’internement", à "la concentration", à "l’extermination", il n’y a jamais eu que quelques pas.
Aujourd’hui, personne n’ignore plus le rôle actif du régime de Vichy et de la police française dans les déportations massives en camps allemands, durant la Seconde Guerre mondiale.
Ce qu’on connaît moins bien, malgré quelques témoignages (livres ou films, ici ou là), ce sont les camps de "regroupement" français.
Dans ces camps étaient parqués, dans des conditions ignobles, avec barbelés, miradors et gardiens armés, jusqu’à en mourir, sur place, de faim, de froid, de mauvais traitements, ou dans l’attente du train de la mort, tous les "indésirables" : Juifs, antifascistes allemands, républicains espagnols, communistes, gitans, homosexuels, poètes, enfants, "nomades" en tous genres.
Les camps français furent nombreux, dans toute la France.
Quelques noms nous viennent immédiatement à l’esprit, pour une raison ou une autre, parce qu’on a vu un documentaire ou parce qu’on est du pays : Gurs, Beaune-La-Rolande, Drancy, Rivesaltes, les Milles, Noé, Le Vernet, le Struthof…
Mais qui, à part les voisins, a entendu parler de Récédédou, avec ce nom du sud au parfum de vacances et de lavande ?
Le film de Francis Fourcou raconte l’histoire de Laurette Monet (1), 19 ans, étudiante en théologie, engagée dans la Cimade (2) pour aider moralement et matériellement les internés des camps de la zone Sud, l’été 1942 au moment où les grandes rafles du régime de Vichy commencent à s’acccélérer,
D’abord le camp de Récédédou, Haute-Garonne.
Puis celui de Nexon, Haute-Vienne, d’octobre 1942 à juillet 1943, quand la Cimade est expulsée et qu’elle découvre alors le vrai visage, bien camouflé et dont personne ne parle, de ces camps. L’horreur de la vie quotidienne, mais aussi l’aveuglement et la soumission des personnels administratifs et médicaux. (3) Jusqu’à cette séquence terrassante où elle n’a plus qu’à réconforter ceux qui partent vers la mort nazie.
Le film est composé à partir de trois éléments : les images d’archives tournées en 1941 par des opérateurs américains (guidés vers les aspects présentables des camps), les témoignages de deux survivantes, et, enfin, des séquences reconstituées.
Il se veut un film d’espoir. Mais il est bien difficile à trouver, l’espoir.
La seule lueur est cette homélie, lue le 23 août 1942 dans toutes les paroisses du diocèse de l’archevêque de Toulouse, Jules Saliège, "ne doutant pas que la France n’est pas responsable de ces violations des droits inhérents à la personne humaine", un texte dans lequel les mots "épouvantes" et "horreurs" ont été remplacés par "émouvantes" et "erreurs".
Plus que d’espoir, c’est un documentaire de transmission contre l’oubli. Car "c’est l’histoire du 20e siècle".
C’est aussi un documentaire d’aujourd’hui, pour aujourd’hui, en ces temps où les "nomades" et les "indésirables" se multiplient, bien malgré eux.
Sylvie L. Strobel
Jeune Cinéma en ligne directe (avril 2016)
1. Laurette Alexis-Monet, Les Miradors de Vichy, préface de Pierre Vidal-Naquet, Les Éditions de Paris-Max Chaleil, 1994.
Il existe un DVD du film, avec de nombreux documents en bonus, qu’on peut se procurer.
2. Les Alsaciens et Lorrains sont les premiers "évacués". Dès 1939, le Comité inter-mouvement (CIM) coordonne les organisations de jeunesse protestante. Il devient le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), œcuménique.
3. Sur le sujet de la soumission aux ordres, voir le film fait sur les recherches du professeur Stanley Milgram (1933-1984) : Experimenter de Michael Almereyda (2015).
Laurette 1942. Réal. Francis Fourcou ; adapt et dial : F.F. & Marc Khanne, d’après le livre de Laurette Alexis Moncet, Les Miradors de Vichy (1994) ; mont : Marc Kahane ; déc : Serge Fournier ; mu : Denis Barbier ; dessin originale pour l’affiche : Ernest Pignon Ernest ; dessins : Seb. Amouroux ; narrateur : Philippe Caubère. Int : Anna Liaubeuf, Barbara Tobola, Patrice Tepasso (France, 2015, 97 mn).