par Alicia Merino
Jeune Cinéma n°373, mai 2016
Sélection du Festival international de films de femmes de Créteil 2016.
Prix du Public
Inédit en salle en France
La novia, (1) second long métrage, après De tu ventana a la mía (2011), de la jeune réalisatrice espagnole Paula Ortiz, est une interprétation de la pièce Noces de sang (1933) de Federico Garcia Lorca, inspirée d’un fait divers survenu l’été 1928, dans la province d’Almeria en Andalousie. Il raconte la passion interdite mais irrépressible entre Léonardo Felix, marié et père d’un petit garçon, et la cousine de sa femme, une novia, c’est-à-dire déjà fiancée, dans un petit village de l’Espagne rurale.
Les noces du novio (Asier Etxeandia) et de sa novia (Inma Cuesta) ont pourtant lieu, mais celle-ci ne peut oublier son ancien amant Leonardo (Alex Garcia). Et après avoir lutté contre leur désir, les deux amants partiront ensemble après la noce, laissant le marié humilié et les deux familles désemparées. Dans un ultime duel, les deux rivaux finiront par s’entretuer. On retrouve, dans cette tragédie, un certain nombre de thèmes, mais celui de la mort est le principal, qui revient tout au long de l’œuvre, comme une lancinante mélodie. La toute première scène montre la novia, ensanglantée et agonisante, rampant sur un sol poussiéreux, comme dans une chorégraphie macabre. On retrouvera la mort tout au long du film, comme cette vieille femme fugitive et errante qui n’est autre que le fantôme d’elle-même.
L’obscurité, la noirceur, sont présentes chez les deux amoureux passionnés. Mais le soleil, la lumière et la translucidité ont aussi leur place, symbolisés par le cristal, le verre et le miroir, souvent à l’image, et qui sont le reflet de leur amour pur mais fragile. L’extralucidité et les visions de la novia, la présence fantasmatique de la vieille femme, la pleine lune, sont autant d’échos du surréalisme et de l’onirisme chers à Federico Garcia Lorca. Une mise en scène inspirée traduit finement la passion et les symptômes de la passion. Le spectateur éprouve tout d’abord un choc devant la beauté époustouflante et presque lunaire des paysages désertiques ou encore ces visages jeunes, presque trop parfaits, des amants.
On perçoit ensuite la montée du désir - gros plans répétés et alternés des regards, mouvements accélérés des gestes évoquant la confusion mentale de la novia, augmentation du volume sonore de la musique. La scène autour d’un feu lors des noces, atteint un paroxysme pour se terminer par une perte de connaissance, une "petite mort". Les dialogues, les mots douloureux enfin de Leonardo et de la novia évoquent la passion dévorante : "Brûler et se taire est le pire qui puisse nous arriver… les choses entrent en nos centres et rien ne peut les y arracher… ta voix me tire et je sais que je me noie mais j’arrive... quels éclats de verre me piquent la langue ?". Rien ne peut vraiment les apaiser. Ce n’est pas leur faute mais celle de la terre, de cette terre aride et fatale qui nourrit leur passion.
Seuls certains éléments naturels (la nuit bleue et froide qui brise l’incandescence des sentiments et éloigne du désert, le chant des grillons, le bruit de l’eau ou du vent dans les branches des arbres) laissent un répit aux amants. Le jaune, l’ocre, le rouge du feu et des corps embrasés par la passion se calment avec le blanc ou le bleu de la nuit. Le blanc des matières et des tissus qui volent au vent offrent des pauses. Les chants gitans joyeux, les vers du poète déclamés et chantés, la guitare, le violoncelle permettent aussi une rupture salutaire.
À la fin, l’errance perpétuelle de la novia et de son fantôme dans le désert blanc marquent l’achèvement de la passion et le retour de la mort. Il n’y a plus rien, plus de couleurs, ni d’émotions, ni de chaleur à l’intérieur, ni d’amants, ni d’espoir : la passion laisse exsangue. Seuls le village, sa loi, ses habitants et la terre aride demeurent immuables. La novia reste seule, incomprise et accablée. Le film se clôt sur une magnifique reprise de Take This Waltz, de Leonard Cohen.
Alicia Merino
Jeune Cinéma n°373, mai 2016
1. La novia a obtenu le Prix du Jury lors de la 38e édition du Festival du film de femmes de Créteil. Nous attendons désormais les prochains films de la réalisatrice avec impatience.
La novia. Réal : Paula Ortiz ; sc : P.O. et Javier García d’après la pièce de Federico Garcia Lorca ; mu : Shigeru Umebayashi et Dominik Johnson, ph : Miguel Angel Amodeo ; mont : Javier Garcia. Int : Manuela Vellès, Inma Cuesta, Leticia Dolera, Alex Garcia, Asier Etseandia, Mariana Cordero, Ana Frenadez, Maria Alfonsa Rosso (Espagne, 2015, 96 mn).