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Une Anglaise romantique (1975)
de Joseph Losey
publié le mercredi 1er juin 2016

par René Prédal
Jeune Cinéma n°88, juillet-août 1975.

Sorties les mercredis 11 juin 1975 et 1er juin 2016.


 


"Les Anglaises sont les plus romantiques", constate Thomas, gigolo professionnel spécialiste des femmes riches et insatisfaites qu’il lève sans effort et avec morgue, de Baden-Baden à la Côte d’Azur en passant par Londres et tous les grands hôtels internationaux où elles vont généralement "à la recherche de leur propre identité".

Dans Une Anglaise romantique, Losey s’attache à brosser le portrait d’une de ces femmes, mariée à un romancier à succès mais mal à l’aise dans sa somptueuse demeure, où elle tourne fébrilement comme un oiseau en cage. Entre un mari confortablement installé dans un décor quotidien construit à sa mesure et un étranger sans vergogne toujours prêt à s’incruster dans les meubles d’autrui, Elizabeth ne semble finalement chez elle que dans des lieux impersonnels tels que serre, automobile, ou hôtel baroque.


 

Dans la veine psychologique du Messager ou de Accident et un peu comme dans La Maison de poupée, le film renoue ainsi avec le thème de l’incompréhension.
Il s’interroge, avec Elizabeth, sur sa responsabilité, et sur son rôle auprès de Lewis, le mari, la suivant, pour finir, dans une révolte avortée qui ne pouvait que s’achever par le retour au bercail.

Une amère dérision, déjà contenue dans le titre, fait parfois irruption à quelque tournant trop attendu de cette banale aventure.
Mais Losey traite son scénario sur un mode mineur. Il délaisse les zones troubles et évite soigneusement les abîmes qui s’ouvraient à chaque pas, dans The Go-Between ou The Servant. Il gomme toute situation pouvant découvrir des rapports sociaux précis. Peut-être est-ce parce que l’œuvre délaisse l’aristocratie fermée des films précédents pour situer son intrigue dans la haute bourgeoisie d’aujourd’hui dont les caractères spécifiques s’ouvrent justement aux lieux communs les plus éculés.


 

Torturé par la jalousie, Lewis écrit un fort médiocre scénario en imaginant l’infidélité d’une épouse mal dans sa peau. Mais au fur et à mesure qu’il pousse les situations réelles "pour voir" (à la fois les réactions de sa femme et la suite possible de son scénario), la fiction devient réalité et Elizabeth s’enfuit effectivement avec Thomas.
Si ce jeu avec le feu est bien servi par le savoir-faire de Losey et l’humour intelligent des dialogues, la situation s’inscrit néanmoins, sans beaucoup d’originalité, dans le triangle traditionnel et reflété à l’infini par les célèbres jeux de miroirs si chers à l’auteur.

Surtout le fait qu’Elizabeth ne choisisse pas son amant et se laisse pousser par son mari dans les bras d’un aventurier (que Helmut Berger interprète sans nuance, comme dans Violence et passion de Visconti), affaiblit considérablement la force du personnage féminin, et confère même à l’ensemble du film une désagréable teinte de misogynie.


 


 

Il est vrai que l’ironie qu’exerce Losey sur son propre compte emporte l’adhésion.
Alors que Lewis introduit sans illusion quelques éléments de thriller destinés à relever la sauce de son insipide histoire de mari, de femme et d’amant, Losey lance lui-même - sans plus de conviction - un trafiquant de drogue d’opérette à la poursuite de Thomas pour dénouer sans surprise son intrigue sentimentale.

Tant que l’auteur conservera une telle lucidité, aucun de ses films ne pourra être vraiment dépourvu d’intérêt.

René Prédal
Jeune Cinéma n°88, juillet-août 1975

Une Anglaise romantique (The Romantic Englishwoman). Réal : Joseph Losey ; sc : Tom Stoppard, Thomas Wiseman d’après son roman ; ph : Gerry Fisher ; mu : Richard Hartley ; mont : Reginald Beck. Int. Glenda Jackson, Michael Caine, Helmut Berger, Marcus Richardson, Kate Nelligan, Reinhard Kolldehof, Michael Lonsdale, Béatrice Romand, Anna Steele, Nathalie Delon, Doris Nolan (Grande-Bretagne-France, 1975, 116 mn).

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