JEUNE CINÉMA n°430, été 2024
Couverture : Karla Sofia Gasco, Emilia Perez (Jacques Audiard, 2024).
Quatrième de couverture : Ruby Keeler, 42nd Street (Lloyd Bacon, 1933).
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Si Françoise Hardy a laissé des traces, suffisamment fortes pour que sa disparition éclipse, quelques instants, le déplorable spectacle politique qui agite l’actualité, ce n’est certes pas par sa filmographie, aussi mince que sa silhouette, et réduite à quelques titres. Sa photogénie étonnante aurait dû la servir. En définitive, elle passa comme un fantôme dans Château en Suède de Roger Vadim (1963), fut transparente dans l’anorexique Une balle au cœur de Jean-Daniel Pollet (1965), décorative dans Grand Prix de John Frankenheimer (1966), et retourna avec raison à des activités qui lui convenaient mieux, écrire et chanter. Il ne s’agit pas d’un rendez-vous manqué : manifestement, elle n’était pas faite pour l’écran (ni d’ailleurs pour la scène, qu’elle abandonna dès qu’elle le put). Les hommages qui lui furent rendus insistèrent sur la première partie de sa carrière, période "Tous les garçons et les filles" ou "Mon amie la rose", comme si les cinquante années de création qui suivirent étaient négligeables. Le phénomène est habituel, qui fige les artistes dans une image-cliché ; Jean-Luc Godard (1930-2022), c’était Pierrot le fou (1965), François Truffaut (1932-1984), c’est Les Quatre Cents Coups (1959), le reste demeurant nébuleux. Nul doute que, lorsque Bob Dylan ou Mick Jagger auront droit à une nécrologie grand public, ce seront "Blowin’ in the Wind" ou "Satisfaction" qui feront surface et non leurs chefs-d’œuvre postérieurs.
Le Festival de Cannes n’est plus qu’un souvenir. Édition mémorable ou banale ? L’avenir jugera, lorsque tous les films présentés auront trouvé un véritable public. Nous annoncions dans notre numéro précédent que la surprise viendrait de cinéastes comme Sean Baker, Miguel Gomes ou Payal Kapadia. Que tous trois aient été récompensés par le jury laisse entendre que Greta Gerwig et ses complices lisent attentivement Jeune Cinéma et suivent ses avis - nous n’en avions jamais douté. Plus sérieusement, on a pu constater, comme nous l’annoncions, qu’il s’est agi d’un cru en demi-teinte, sans révélation ébouriffante, à quelques exceptions près, dont deux films français, Emilia Pérez de Jacques Audiard et The Substance de Coralie Fargeat. Films par ailleurs très peu "français", comme le note Patrick Saffar dans le bilan qu’il dresse plus loin de la compétition, en ce qu’ils échappent à la normalisation du cinéma hexagonal.
Un cinéma qu’il juge "un peu à bout de souffle". Saluons son sens de la litote. Non que le reste de la sélection officielle française - Gilles Lellouche, Christophe Honoré, Agathe Riedinger - ait été particulièrement faible ; disons qu’elle a été d’un niveau hélas courant ; elle fut accueillie poliment, plus même que nous ne nous y attendions. Et la critique, si prompte d’habitude à jouer "La Quinzaine" contre "l’Officielle", n’a pas sorti ses obusiers. Une raison à cette bienveillance ? Il n’y avait rien de meilleur aloi dans les autres sections - difficile de faire passer Patricia Mazuy, Jean-Christophe Meurisse ou la regrettée Sophie Fillières pour des révélations et les fers de lance d’un nouveau cinéma. Les vraies nouveautés, Boris Lojkine, Julien Colonna, Louise Courvoisier, étaient du côté de la section Un Certain Regard. Mais, par bonheur, il n’y avait pas que du cinéma français sur la Croisette : on en trouvera le détail au fil des soixante-deux pages consacrées au festival - cinquante-neuf films chroniqués, notre record.
Et maintenant ? Il n’y a pas que le cinéma dans la vie. Ce numéro paraîtra entre les deux tours des élections législatives. On se gardera de toute prévision à propos d’enjeux autrement sérieux que le Festival de Cannes. Mais souhaitons de ne pas avoir à regretter l’actuelle ministre de la Culture - quel que soit le manque de sympathie que nous éprouvions à son égard, elle faisait partie d’un microcosme cohérent, avec ses règles et ses coups bas, que nous pouvions affronter en pays de connaissance. Au moins, on savait où l’on allait. Ce qui est loin d’être le cas, lorsque "la bêtise au front de taureau", comme écrivait le poète, pointe son mufle.
D’ici là, à Bologne, le festival Il Cinema Ritrovato aura eu lieu. S’il a perdu le caractère humain qui faisait son charme – comme pour tous les festivals qui se veulent grands, il faut passer par l’informatique, parfois défaillante, et se soumettre à cette torture pour pouvoir pénétrer dans les salles -, il demeure un point de passage obligé pour les amateurs de découvertes ou de retrouvailles. Cette année, quelques auteurs peu fréquentés, Gustav Molander, Anatol Litvak (dont Bertrand Tavernier regrettait sur le tard de l’avoir trop longtemps mal considéré), Kozaburo Yoshimura, Pietro Germi, ainsi qu’une étrange section, "Dark Heimat", consacrée à des films allemands inconnus du tournant des années 40 et 50. La moisson sera forcément fructueuse et éveillera quelques échos dans nos pages.
Busby Berkeley, Ninon Sevilla, Mae West, Max Ophuls, le Code Hays, l’histoire de Gaumont : encore un numéro qui, outre Cannes, tire des bords sans se soucier de l’actualité immédiate. Mais, comme l’affirmait Jean George Auriol, toujours en exergue de notre site : "L’actualité, ça ne se suit pas, ça se crée. Il faut publier un texte sans se soucier de son rapport à l’actualité, à la mode, au succès, à la notoriété". Position que Jeune Cinéma s’acharne à respecter, depuis cinquante-neuf ans et dix mois. Car nous y sommes presque, à cet anniversaire en forme de changement décennal, que les parents fondateurs de la revue, Jean & Ginette Delmas et Andrée Tournès, n’imaginaient pas qu’elle le célèbrerait un jour. Et, après tout, le soixante-dixième n’est pas si loin.
Lucien Logette
P.S. Nous avons gardé sous le coude un ouvrage qui constituera une bonne lecture de vacances pour les amateurs de cinéma italien : Toto, des origines à l’original, par Élodie Hachet (éditions Mimésis). Compte rendu dans le n° 431.
Cannes 2024
77e Festival international du Film de Cannes
* Présentation, par Patrick Saffar.
Cannes à Paris
* Le Deuxième Acte, par Francis Guermann.
* Marcello mio, par Francis Guermann.
* Maria, par Gisèle Breteau Skira.
* Rendez-vous avec Pol Pot, par Lucien Logette.
Le festival
* De All We Imagine as Light à When the Light Breaks, par Gisèle Breteau Skira, Gérard Camy, Hugo Dervisoglou, Nicole Gabriel, Lucien Logette, Jean-Max Méjean, Bernard Nave, Patrick Saffar, Sylvie L. Strobel.
Patrimoine
* Busby Berkeley ou le coefficient multiplicateur, par Lucien Logette.
* Le Plaisir selon Max Ophuls, par Philippe Roger.
* Rétrospective Mae West, par Nicole Gabriel.
Documentaires
* Amazonas, o maior rio do mundo, par Nicolas Villodre.
* Tehachapi, par Anne Vignaux-Laurent.
Cinéma & Histoire
* L’Homme le plus heureux du monde, par Jean-Michel Ropars.
Cinéma & business
* Nicolas Seydoux, Cinquante années de Gaumont, par Daniel Sauvaget.
Cinéma & censure
* À propos d’un Code oublié, par Bernard Chardère & Lucien Logette.
Cinéma & danse
* Le retour de Ninon Sevilla, par Nicole Gabriel.
DVD
* Kaneto Shindo Onibaba, par Enrique Seknadje.
Actualités
* Nomad, par Nicole Gabriel.
* Le Vampire noir, par Nicole Gabriel.
Livres
* Ludovic Girard, Al Pacino, le grand jeu, par Francis Guermann.
* Jean Neyrolles, Chaplin, généalogie du cinéma, par Nicolas Villodre.