par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°374, été 2016
Sélection officielle en compétition au Festival de Cannes 2016
Sortie le mercredi 8 juin 2016
L’exemple de Mesdames Inès de la Fressange, Carla Bruni et ici même à Cannes, Laetitia Casta, démontre qu’il existe bien, pour qui sait s’y prendre, une vie après la mode. Nonobstant, le film étatsunien du réalisateur danois, en compétition officielle, trois ans après la débâcle de Only God Forgives (2013) gardera à nos yeux le mérite d’expliquer ce qui les attend aux giovin principianti tentées par les mirages du néon et du démon.
Rondement : désirées un jour, indésirables le lendemain. Ou pire encore transparentes, dans un monde où l’on ne vit que par le regard d’autrui. Quand elles ne sont pas battues, violentées, voire… dévorées toutes crues. Au propre comme au figuré. Une fable sur l’industrie du luxe, les grands photographes et la cannibalisation d’adolescentes qui, petites sirènes ou papillons, ne dansent guère plus d’un bal ? Tout n’avait-il pas été dit avec Blow Up (1967) qui, déjà, mêlait cadavre et shooting ?
Nicolas Winding Refn peut se targuer de connaître cet univers de l’intérieur puisqu’il a tourné des clips pour des maisons comme Gucci, entre autres. De nombreuses scènes (muettes, mais orchestrées) relèvent de cette esthétique publicitaire haut de gamme. Flanqué de son interprète principale, Elle Fanning, 16 ans dans le film, le cinéaste affirmait à Cannes qu’il était "du futur".
Est-ce si sûr ? L’histoire démarque fidèlement le conte de Cendrillon (inspiré de celui de Psyché des Métamorphoses de Ovide), avec la (fausse) ingénue, ses méchantes sœurs qui ne se font plus raboter, qui le talon, qui le gros orteil, mais le nez, les oreilles, les dents, les seins, et ce de façon routinière. La marraine s’avère vampire, flirtant avec la mort, Aphrodite infernale. La scène, au demeurant réussie, du félin qui visite la chambre d’un inquiétant motel, cite à la fois la Féline de Jacques Tourneur (1942) et Cat People de Paul Schrader (1982), et même le Hitchcock de Psycho.
On fait la part belle à un classique de la littérature érotique, Histoire de l’œil, de Lord Auch, alias Georges Bataille (1928). La protagoniste ne ressemble ni à Simone Simon, ni à Nastassja Kinski, ni aux créatures qui peuplent d’ordinaire Vogue. Elle serait plutôt une réapparition du Lys brisé, Lilian Gish (qui mourut centenaire).
Et comme c’est du Nicolas Winding Refn, cette immorale moralité se termine en histoire à dormir debout.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n°374, été 2016
The Neon Demon. Réal, sc : Nicolas Winding Refn ; sc : Mary Laws, Polly Stenham ; mu : Cliff Martinez ; ph : Natasha Braier ; mont : Matthew Newman. Int : Keanu Reeves, Elle Fanning, Jena Malone, Abbey Lee (Danemark-France, 2016, 117 mn).