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Frantz (2016)
de François Ozon
publié le mardi 6 septembre 2016

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection du Festival de Venise 2016

Sortie le mercredi 7 septembre 2016


 


Il faudrait toujours entrer innocent dans un film. Sans en avoir entendu parler et sans le moindre générique. Pour la disponibilité, et l’émotion.
Et puis, seulement ensuite, une seconde fois, il conviendrait de savoir qui, quoi, comment, et d’où il vient. Pour l’intelligence.
Quand on sait combien un film est long, difficile et cher à faire, on se dit que deux visions, c’est rarement un luxe ou une perte de temps, ce serait juste la moindre des choses. Mais inutile de rêver, on revoit les films pour d’autres raisons, mille ans après, ou par inadvertance, pas par acquis de conscience.

Avec Frantz, en noir et blanc et en allemand sous-titré, au début, quand on est innocent, on se croit plutôt dans l’épisode Heimat de 2013, où Edgar Reitz nous remmène aux origines. (1)

Et puis on se laisse emporter, ni Reitz, ni Ozon.
C’est la Première Guerre mondiale telle qu’on la racontait et telle qu’on l’entendait dans les familles, françaises, allemandes, alsaciennes, ces images rongées sur les bords des vieux albums, ces camarades du front, ces pauvres bougres ennemis qu’on entendait gémir à quelques mètres de la tranchée, ces insoumis passés par les armes, ces innombrables lettres, ces voiles de veuves, ces légendes, ce pinard. Ce retour à la maison, qui fut si long pour les hommes au long de l’année 1919, alors même que l’Armistice avait été signé. Et surtout ce fameux silence du poilu, qui autorisait tous les fantasmes et tous les dénis.


 

L’argument de Frantz est simple.
Alors que la guerre vient de finir, un jeune Français arrive dans un petit village allemand et va fleurir régulièrement la tombe d’un soldat tombé au front. Il va y rencontrer la fiancée du camarade mort, puis sa famille.
Mais il va devoir justifier cette drôle de fidélité, cette amitié irrégulière, dans le contexte à la fois manichéen et confus de l’après-guerre, aussi bien en Allemagne qu’en France.


 


 

C’est le temps des reconstructions, internes et externes, celles qui prennent un temps fou, tandis que "la Gueuse en assomme, en vingt secondes, des régiments". (2)

En adoptant le rythme lent des douleurs intimes qu’il faut "bercer", François Ozon se constitue compagnon de deuil des (sur)vivants de ces temps déstabilisés, deuil et transfiguration. Et ainsi, parle-t-il aussi bien de la guerre que de la paix, du désir de guerre que du désir de paix, des deux côtés de la frontière. Cela va bien au delà d’un plaidoyer pacifiste.


 

L’immédiate après-guerre 14-18 a surtout été traitée du point de vue des traumatisés, type Chambre des officiers ou La Vie et rien d’autre.
On ne se souvient pas d’avoir jamais vu ce portrait des pères allemands revanchards, même dans le cinéma allemand. Adrien le Français (Pierre Niney) conduit son mensonge tout en douceur et en obstination. L’évolution d’Anna l’Allemande (Paula Beer) le prolonge dans une harmonie bienfaisante.
Ni cahots, ni rebonds, ni suspens, et jamais d’ennui pourtant.
Aucun cliché, non plus, ni chez les Allemands (les parents de Frantz), ni chez les Français (la classe de Cyrielle Claire en châtelaine).
La fin, à la fois ouverte et fermée, est de la plus grande délicatesse.

C’est comme si ce film "soignait" les terrifiantes blessures et séquelles de guerre des humains et des sociétés. Comme s’il inaugurait un nouveau genre, le "film guérisseur", à la manière des rêves compensatoires.

C’est très beau, aussi, avec une élégance insoupçonnée et souvent masquée, chez Ozon, par l’efficacité, la provocation ou la parodie.


 

Ce film austère hors du temps, c’est du travail de haute volée.
Quel plaisir !

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Edgar Reitz, Heimat 4 : Chronique d’un rêve (2013). Il faudrait revoir, dans le Heimat d’origine (1985), l’épisode 1 : Fernweh (La Nostalgie du voyage) (1919-1928).

2. Montehus, La Grève des mères (1905).

Frantz. Réal : François Ozon ; sc : F.O. avec Philippe Piazzo ; d’après L’Homme que j’ai tué (Broken Lullaby) de Ernst Lubitsch (1932) ; ph : Pascal Marti ; mont : Laure Gardette ; mu : Philippe Rombi ; déc : Catherine Jarrier-Prieur ; cost : Pascaline Chavanne. Int : Paula Beer, Pierre Niney, Cyrielle Claire, Alice de Lencquesaing, Johann von Bülow, Anton von Lucke (France-Allemagne, 2016, 105 mn)

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