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Danseuse (la) (2016)
de Stéphanie Di Giusto
publié le mardi 27 septembre 2016

par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n° 374, été 2016

Sélection officielle Un certain regard au festival de Cannes 2016

Sortie le mercredi 28 septembre 2016


 


Malgré un scénario un peu trop inventif, éloigné des faits et gestes relatés par la chorégraphe dans son autobiographie, Fifteen Years of a Dancer’s Life, ou par ses exégètes, de Sally Sommer à Giovanni Lista, en passant par Brygida Ochaim, Rhonda K. Garelick, Erin Brannigan et la chorégraphe du film, Jody Sperling ; bien qu’on ait jugé intéressant de demander à la cachectique Lily-Rose Depp d’incarner, doublée, semble-t-il, par Fanny Sage, la plantureuse Isadora sans même lui dispenser un ou deux cours de danse “libre” ; en dépit des choix, pas toujours judicieux, question focales de la part du directeur de la photo ; nonobstant les séquences dansées entrelardées au montage de plans de coupe et de contrechamps innécessaires, le film est agréable à voir.


 

Tout d’abord, il convient d’apprécier le travail de reconstitution historique et de repérage, fidèles aux photos prises à partir de 1896 et aux actualités Gaumont de 1913 montrant la danseuse.

Ensuite, la production a fait bon usage des brevets de Loïe Fuller et des articles de journaux qui détaillaient les moyens requis par la danse “serpentine” - avatar de la skirt dance en vogue à la fin du 19e siècle -, le nombre et la distribution des sources lumineuses, la hauteur de la plateforme servant de piédestal à la soliste, la longueur idéale des baguettes en bambou prolongeant les membres supérieurs, le type de tissu exigé.

Enfin, si le début de la vie en Amérique de la chorégraphe est inexact du point de vue historique, il permet de faire cohabiter harmonieusement les langues anglaise et française et de nous gratifier d’un prologue en forme de western. De fait, la réalisatrice peut justifier tout caprice artiste en recourant à l’inattaquable argument fordien : “This is the West, sir. When the legend becomes fact, print the legend.”


 

Le rapport avec Isadora Duncan est ici de type lesbien, ce qui choquera puristes et puritains mais faut-il rappeler que l’émancipatrice de la danse corsetée était, de son côté, prête à tout pour réussir, ce qu’elle fit, estompant l’influence de son frère aîné, Raymond, qui l’orienta vers la statuaire grecque ?

On regrettera que n’ait pas été évoquée la proximité et la collaboration artistique de Loïe Fuller avec la reine Marie de Roumanie. Mais sa danse est remarquablement filmée (quoique hachée façon clip vidéo).


 

A contrario, on a obtenu une redondance doloriste à force de montrer l’entraînement de la danseuse et la performance, dans tous les sens du terme, du spectacle d’Art nouveau fullerien qui inspira les créateurs de son temps avant ceux du Bauhaus (on pense aux danses abstraites d’Oskar Schlemmer et aux modulations de lumière d’un Laszlo Moholy-Nagy) sans oublier les chorégraphes et scénographes contemporains Nikolaïs et Bob Wilson.
Il convient de noter que Soko est crédible à tout instant et que Mélanie Thierry dans le rôle de Gab Sorère, assistante et amie intime de Loïe Fuller, fait une excellente composition.

Nicolas Villodre
Jeune Cinéma n° 374, été 2016

La Danseuse. Réal, sc : Stéphanie Di Giusto ; sc : Sarah Thibau, Thomas Bidegain, Giovanni Lista ; ph : Benoît Debie ; mont : Géraldine Mongenot ; mu : Emmanuel Ferrier. Int : Soko, Gaspard Ulliel, Mélanie Thierry, François Damiens, Lily-Rose Depp, Denis Ménochet (France-Belgique-République tchèque, 2016, 108 mn).

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