par Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 374, été 2016
Sélection officielle Un certain regard au festival de Cannes 2016
Sortie le mercredi 28 septembre 2016
Avec ce film de Bogdan Mirica, nous sommes à cent lieues de ce à quoi nous ont habitués ses confrères roumains.
Dès les premières images, le paysage nous installe dans un monde dénudé, une campagne peu accueillante avec ses aboiements de chiens hostiles, ses eaux troubles qui recèlent des surprises macabres.
Roman, un homme jeune arrive de la ville pour prendre possession d’un vaste domaine dont il vient d’hériter et s’installe dans la maison déserte, dont il s’aperçoit vite qu’il vaut mieux la vendre.
L’accueil qu’il reçoit lui fait comprendre qu’il n’est pas le bienvenu dans un ordre social régi par une hiérarchie immuable, faite de patrons (son père en était un, très respecté et craint), de chefs de clans qui organisent des trafics sur lesquels la police locale ferme les yeux, voire se fait complice.
"Ici on ne change rien" dit Samir, un des chefs influents, à Roman.
Entouré d’hommes de main à l’intelligence sommaire, il recourt à une violence inouïe pour faire régner son ordre. Il faudra la ténacité d’un chef de police à l’article de la mort pour l’éliminer.
D’un sujet qui peut faire penser à un western par sa structure, Mirica fait un film fort à plus d’un titre.
Cela se manifeste dès le départ par des choix formels qui s’imposent dans des cadrages très maîtrisés, l’usage de plans-séquence qui imbriquent étroitement les personnages dans le décor.
Par le travail sur la bande son, les aboiements de chiens deviennent obsessionnels et imposent une présence du hors-champ tout aussi pesante que ce que nous voyons à l’image.
Le regard de Mirica sur ce monde dominé par des figures mâles est sans concession. Il dépouille son propos pour livrer un film tendu à l’extrême, d’autant plus terrible qu’à aucun moment il ne se veut démonstratif.
Capter les sensations comme il le fait vaut mieux que de longs discours.
On en ressort laminé, tellement la fin laisse peu d’espoir quant aux possibilités de changements qu’un tel monde peut laisser entrevoir.
Tant de lucidité et de rigueur dans un premier film font de Bogdan Mirica un réalisateur à suivre.
Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 374, été 2016
Câini (Dogs). Réal, sc : Bogdan Mirica ; ph : Andrei Butica ; mont : Roxana Szel. Int : Dragos Bucur, Gheorghe Visu, Vlad Ivanov, Costel Cascaval, Raluca Aprodu (Roumanie-France-Bulgarie-Qatar, 2016, 104 mn).