par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
Pour célébrer Halloween, la Fondation Pathé-Seydoux nous invite à frissonner devant les monstres du cinéma du temps jadis.
Le cycle de films fantastiques Démons et merveilles comprend des bandes issues du muet signées Méliès, Velle, Segundo de Chomon, Abel Gance ainsi que des chefs-d’œuvre que l’on a rarement l’occasion de voir comme La Galerie des monstres (1924) de Jaque-Catelain.
Les programmateurs font également la part belle au cinéma parlant et exhument les succès Universal des années 30 avec les Dracula, Frankenstein et autres têtes d’affiche de l’horreur.
The Lost World (1925) de Harry O. Hoyt est proposé dans une nouvelle et admirable copie restaurée par Lobster, "pratiquement sous sa forme d’origine", selon Serge Bromberg.
Tout commence comme dans un film d’aventures, avec l’adaptation du roman éponyme d’Arthur Conan Doyle datant de 1911.
Nous sommes à Londres, où le professeur Challenger, en butte aux railleries des journaux et de la communauté scientifique, prend la tête d’une expédition vers l’Amazonie, à la recherche d’un explorateur disparu. Il entend par la même occasion prouver à ses contemporains que l’on trouve, dans ces terres lointaines, vivants et en chair et os, toutes sortes de sauriens que l’on croyait éteints depuis… la préhistoire et dont les musées d’histoire naturelle reconstituent amoureusement les squelettes depuis la fin du 19e siècle.
En saharienne et casque colonial, les membres de l’équipée, un gentleman, un professeur monomaniaque, un reporter sommé par sa bien-aimée de prouver son courage par de hauts faits, la propre fille de l’explorateur disparu ainsi que quelques factotums introduisent dans la jungle leur élégance et leurs bonnes manières. Jamais ils ne sont pris au dépourvu devant les épreuves qui les y attendent.
Harry O. Hoyt n’est sans doute pas un réalisateur très mémorable mais sa mise en scène est alerte, rondement menée, pleine de traits d’humour.
Fit sensation à la sortie du film le bestiaire qui peuple cette Amazonie rêvée, une bonne cinquantaine de sauriens, badaudant sur terre comme dans les airs, mastiquent des plantes, s’affrontent dans de superbes combats singuliers. Les naturalistes en herbe pouvaient en effet reconnaître leurs petits, i.e. leurs espèces de prédilection -brontosaures, allosaures, edmontosaures, tyrannosaures - au milieu d’autres animaux pour de vrai visibles dans les zoos - singes, jaguars, paresseux, lézards, pécaris, pythons.
La réussite du film est due à la coexistence "naturelle" entre un monde perdu et celui qui n’allait pas tarder à l’être, un monde encore exotique, collage rendu plausible par l’intégration parfaite des séquences d’animation dans l’intrigue du film.
Les scènes les plus spectaculaires arrivent à la fin du voyage, lorsque les aventuriers retrouvent la capitale britannique. Ils convoquent presse et spécialistes pour leur présenter un spécimen de brontosaure capturé vivant.
Las ! celui-ci se libère de ses liens et arpente Londres, semant effroi et provoquant panique. On voit le monstre détruire des pans d’immeubles, s’approcher dangereusement du musée d’Histoire naturelle, s’engager sur Tower Bridge qu’il rompt en deux avant de plonger et de disparaître dans la Tamise.
Il faut, à ce stade de notre compte rendu, préciser que c’est Willis O’Brien, docteur ès-trucages, celui-là même qui signera par la suite les effets spéciaux du gorille vandalisant l’Empire State Building, qui s’y est collé.
Dans The Lost World, le mythe de King Kong s’annonce donc déjà, celui du monstre innocent, proche des forces élémentaires, qui dénonce la violence de notre monde, sa froideur, sa cruauté, son cynisme. L’animal contre l’inhumain.
L’épilogue du Monde perdu n’est point désespéré : dans un superbe plan dont le noir et blanc vire au rose, on voit le saurien surnager en pleine mer.
Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe
* Le DVD de cette version sort en même temps, avec une musique originale composée par Robert Israel. Un livret retrace avec une grande précision toutes les étapes de la restauration. Le bonus permet de découvrir Ghost of Slumber Mountain (1918), de Willis O’Brien.
The Lost World. Réal : Harry O. Hoyt ; sc : Arthur Conan Doyle (based upon the novel by), Marion Fairfax d’après le romande Conan Doyle, The Lost World (1911) traduction française Le Monde perdu (Hachette, 1931) ; ph : Arthur Edeson ; mont : George McGuire ; déc : Milton Menasco ; effets spéciaux : Willis H. O’Brien, avec Devereaux Jennings. Int : Sir Arthur Conan Doyle, Bessie Love, Lewis Stone, Wallace Beery, Lloyd Hughes, Alma Bennett, Arthur Hoyt, Margerette McWade, Bull Montana, Francis Finch-Smiles, Jules Cowes, George Bunny, Charles Wellesley, Jocko the Monkey as himself (États-Unis, 1925, 93 mn).