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Un petit port de mer (1876)
par Paul Arène
publié le jeudi 27 octobre 2016

À Sylvie, l’Antiboise

Paul Arène
Le Canot des six capitaines, in Œuvres de Paul Arène, collection petite bibliothèque littéraire, Paris, Librairie Alphonse-Lemerre, sd, pp. 298-300.


 

Cf. aussi Paul Arène (1843-1896)



 

C’est charmant notre Antibes : un port, un môle, un phare ; et d’agréables remparts s’élevant juste ce qu’il faut pour offrir une belle vue aux promeneurs qui font leur tour quotidien des courtines.

Le petit phare est si petit qu’il n’éclaire guère que lui-même ; le petit môle n’embrasse de la mer que ce qu’une si petite ville peut en désirer ; le petit port ne reçoit que des tartanes, et, de temps en temps, un brick-goélette que les gens du pays - bons Provençaux - appellent invariablement brigoulette.

Il y a une place à Antibes, la Grand’ Place, avec une vieille tour sarrasine qui, s’ennuyant toute seule derrière les maisons, regarde, par-dessus les toits, tout le long du jour, ce qui se passe de neuf au café de la Marine.

Et quel silence partout !

À peine troublé dans les rues par le soupir qu’arrache la brise aux frêles palmes de quelque dattier penché sur le mur d’un jardin ou l’auvent d’une épicerie, et par le bruit de l’eau des lavoirs qui jaillit limpide, et puis s’en va, coulant en ruisseaux au milieu des rues, s’ensanglanter, devant les fabriques de coulis, du jus des tomates pressées.


 

À la porte marine, sur le pré de la Prud’homie, une chaudière fume, pleine de tan pour teindre en brun les voiles. Des filets sèchent étendus. Amarrées le long du quai, les tartanes restent immobiles au-dessus de leur immobile reflet. Un bateau entre, tout se révolutionne : les coques dansent, les mâts s’inclinent, et leur longue image s’en va serpentant dans l’eau claire avec une flamme rouge au bout.

Mais cela sans bruit, sans qu’un cordage crie, sans qu’un bordage grince, comme si Antibes tout entière, la ville et le port, craignait de donner l’éveil au crabe velu ou au poulpe que guette là-bas ce vieux pêcheur, un roseau à la main et jambes nues dans l’eau.

Puis de jolis noms : l’Ilette, la Gravette, diminutifs bien choisis pour une petite ville qui ne rougit pas d’être petite ville ; et partout quelque chose d’aimable et d’intime rendu plus intime encore par le contraste du ciel profond, de la grande mer, des Alpes immenses et de Nice dont on aperçoit là-bas, visible dans une brume d’argent, entre les Alpes et la mer, la longue ligne de maisons blanches.

Paul Arène

Le Canot des six capitaines, in Œuvres de Paul Arène, collection petite bibliothèque littéraire, Paris, Librairie Alphonse-Lemerre, sd, pp. 298-300.


 

PS. Les choses changent en 140 ans.


 


 


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