home > Films > Gamin au vélo (le) (2011)
Gamin au vélo (le) (2011)
de Jean-Pierre et Luc Dardenne
publié le mardi 15 juillet 2014

par Philippe Rousseau
Jeune Cinéma n°338-339, juillet 2011

Sélection officielle du festival de Cannes 2011. Grand Prix ex-æquo

Sortie le mercredi 18 mai 2011


 


Cyril est un enfant têtu. Du reste, le surnom de Pitt-bull dont l’affuble un des personnages du film lui convient bien. Il veut absolument retrouver son père qui l’a placé dans un foyer pour ne plus avoir à s’occuper de lui. Le jeune garçon rencontre par hasard Samantha, une coiffeuse qui accepte de l’accueillir chez elle le week-end. Mais ce qu’il lui demande avant tout, c’est de l’amener auprès de son père. Ce dernier le rejette, Cyril doit donc apprendre à vivre sans cette affection qu’il désire si ardemment.

De film en film, les Dardenne ne cessent de travailler sur la filiation, les rapports père / fils en particulier.
Leur nouvel opus n’y échappe pas. Fils dans La Promesse, Jérémie Rénier était déjà devenu père dans L’Enfant, et déjà dans l’impossibilité d’élever son nouveau-né.

Dans Le Gamin au vélo, se jugeant incapable d’assurer son éducation, il préfère refuser tout contact avec son jeune fils. Cyril est incarné par Thomas Doré, un acteur débutant prodigieux.
Gageons qu’on le retrouvera dans la famille d’acteurs des cinéastes, tel Olivier Gourmet qui apparaît ici dans une courte scène.


 

Les Dardenne construisent un récit poignant autour du parcours chaotique de cet enfant en manque de (re)père. Le film lorgne vers le néoréalisme : on pense au Voleur de bicyclette, lorsque le vélo, dont Cyril a du mal à se séparer et qui lui sert de béquille autant que d’échappatoire, disparaît.
Mais le film est aussi un long métrage à suspense, fût-il un peu prévisible. Constamment, le spectateur se demande si le gamin pourra s’en sortir, recevoir l’affection qu’il réclame et avoir la vie normale d’un enfant de son âge.
Cette tension permanente donne au film les allures d’un thriller, genre un peu inattendu chez les auteurs de Rosetta.
Ce qui frappe surtout ici, c’est la manière avec laquelle les Dardenne renouvellent leur cinéma, tout en restant fidèles à leurs obsessions. L’univers visuel du film est cette fois-ci moins sombre. Tourné dans la lumière de l’été, le film s’inscrit davantage dans le milieu naturel, jusqu’ici peu utilisé : importance des bords de l’eau, de la forêt (fût-elle un lieu angoissant), des feuilles des arbres, symbole de vie.
On remarque aussi l’utilisation discrète de la musique : des extraits du mouvement lent du concerto L’Empereur de Beethoven apportent une émotion, une tendresse supplémentaires (vraiment nécessaires ?).
Surtout, ils choisissent une manière de filmer plus apaisée et élaborent des séquences d’une exacte durée, évitant ainsi toute dispersion inutile. Pas de gras dans ce cinéma-là. De ce point de vue, Le Gamin au vélo n’est pas sans rappeler L’Enfance nue de Pialat.

Mais le renouvellement passe aussi par le choix d’une actrice confirmée.
Cécile de France apporte sa féminité sensible et rayonnante dans ce monde d’hommes à la fois fragiles et inadaptés. À dessein, les Dardenne ont choisi de lui faire exercer le métier de coiffeuse : ni médecin, ni infirmière, psychologue ou assistante sociale, elle est celle qui embellit les femmes. Et veut simplement sauver ce gamin. On peut toujours voir en elle une mère de substitution pour Cyril comme Samantha peut voir en lui l’enfant qu’elle n’a pas. Du reste, sommée de choisir par son ami, elle préfère rester avec Cyril.
Pour autant, les Dardenne ne sombrent jamais dans le psychologisme. Ils montrent une situation, tragique, mais laissent au spectateur le soin de définir, ou non, la nature profonde des liens qui unissent leurs personnages.

Si les situations montrées ont un caractère intemporel, la force du cinéma des Dardenne provient de leur capacité à saisir le réel, même sous forme d’une fiction. Parce qu’ils ancrent leur scénario dans un territoire et un milieu social qu’ils connaissent parfaitement, ils s’imposent comme de grands cinéastes de notre temps.

Philippe Rousseau
Jeune Cinéma n°338-339, juillet 2011

Le Gamin au vélo. Réal, sc : Jean-Pierre & Luc Dardenne ; ph : Alain Marcoen ; mont : Marie-Hélène Dozo ; son : Jean-Pierre Duret. Int : Cécile de France, Thomas Doret, Jérémie Rénier, Fabrizio Rongione (Belgique-France-Italie, 2011, 87 mn).

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts