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Raid sur Entebbe (1976)
de Irvin Kershner
publié le jeudi 22 décembre 2016

Cf. Été 2013, Les saisons, chronique DVD

par Jérôme Fabre
Jeune Cinéma n°354, automne 2013

Sortie le mercredi 12 janvier 1977


 


Sidonis vient d’initier, pour accompagner les Westerns de légende ayant fait sa réputation, deux autres collections, dédiées respectivement aux films noirs et aux films de guerre, mineurs et/ou oubliés pour la plupart.

Ce travail ne reçoit, à tort, que peu d’échos (rien dans la presse écrite, qui ne porte toujours aucune attention à ce support sauf lorsqu’il s’agit de l’énième coffret James Bond). Patrick Brion est toujours aux manettes pour ce qui est des commentaires et, à ses côtés, le patron du roman noir François Guérif a remplacé Bertrand Tavernier.

En écoutant Guérif, je m’aperçois d’ailleurs, lorsqu’il parle de Raid sur Entebbe, (*) que nous n’avons pas vu le même film, à tout le moins en ce qui concerne l’homélie dispensée.
Film de propagande pro-israélien totalement putassier, censé relater l’intervention armée des forces spéciales israéliennes en Ouganda aux fins de libérer les passagers d’un avion détourné par le FPLP et ses acolytes de l’extrême gauche allemande, la chose est hautement partisane, paranoïaque et larmoyante, avec moult références lourdaudes et incessantes à la Shoah et au malheur du Sel de la Terre (on a même droit aux chansons traditionnelles). Médaille fermement épinglée au glorieux veston belliciste de la Judée, l’événement a donné naissance à pas moins de trois films (les deux autres étant, paraît-il, encore plus nauséabonds), tous mis en boîte l’année même des faits (le raid a eu lieu dans la nuit du 3 au 4 juillet 1976) !

C’est dire l’énergie de certains pour poser au plus vite aux côtés des Justes, ce qui est sans surprise puisque le courant pro-israélien a toujours été important à Hollywood, les Exodus (Preminger, 1960), L’Ombre d’un géant (Melville Shavelson, 1966), Dimanche noir (John Frankenheimer, 1977) et autres World War Z (Marc Forster, 2013, avec les Palestiniens dans le rôle des zombies…) en témoignent : chacun prêche pour sa paroisse, c’est entendu, et sûrement normal, mais nous ne sommes pas obligés de hurler avec la meute.

Il y avait de quoi, l’élimination de sept "terroristes" par une escouade de 250 militaires surarmés marquant certainement un haut fait de guerre. Ce qui frappe et écœure, c’est surtout l’insistance sur un monde divisé entre une élite israélienne éclairée, compétente et droite dans ses bottes et le reste des humains (incluant les otages juifs en question), inertes, couards, ridicules, c’est selon, et bêlant comme des moutons de Panurge.
Et aussi, aucun grain de sable ne vient jamais gripper l’extraordinaire machine à détruire, comme si la morale ne pouvait s’embarrasser d’imprévus, et donc d’humain. En ce sens, le film annonce les affligeantes productions Cannon de Menahem Golan (qui réalisa un des deux autres Entebbe, il n’y a pas de hasard) dans les années 80 et les récents Zero Dark Thirty (Kathryn Bigelow, 2012) et Argo (Ben Affleck, 2012), autres films de raids contre l’ignominie et à la gloire d’une grande puissance immaculée. Peut-être rongé par quelques scrupules, le réalisateur fait paradoxalement du leader terroriste joué par Horst Buchholz le seul personnage disposant d’une once d’humanité…

Après, si l’on parle cinéma, le travail de Kershner est assez remarquable.
Ne disposant que de trois semaines de tournage, et d’un temps de préparation également limité (le film a été à l’origine réalisé pour la TV), il parvient à mettre en branle, lui aussi, une véritable machine de guerre qui n’a rien à envier à la plupart des superproductions hollywoodiennes. Les scènes de négociations politiques dans les ministères autant que celles sur le terrain sont minutieusement réglées et organisées, faisant vivre une multitude de personnages. La description technique du théâtre des opérations est particulièrement convaincante, notamment l’initiative, rare et particulièrement pertinente, de montrer la préparation et les répétitions par le commando de l’intervention dans des décors factices.
On reconnaît là le cinéaste crypto-fasciste mais (donc ?) terriblement efficace de L’Empire contre-attaque (1980) et Robocop 2 (1990), parfaits compléments sur le thème "la loi du plus fort est toujours la meilleure" de Raid sur Entebbe, et aussi le documentariste rigoureux qu’il fut dans sa jeunesse. Il se montre également un remarquable directeur d’acteurs et on notera, au sein de la ribambelle, les partitions de Peter Finch en Yitzhak Rabin et de Yaphet Kotto en Idi Amin Dada, clown monstrueux.

Jérôme Fabre
Jeune Cinéma n°354, automne 2013

* Sidonis.

Raid sur Entebbe. Réal : Irvin Kershner ; sc : Barry Beckerman ; ph : Bill Butler ; mu : David Shire ; mont : Nick Archer, Bud S. Isaacs, Art Seid. Int : Peter Finch, Charles Bronson, Yaphet Kotto, Horst Buchholz, Martin Balsam, John Saxon, Eddie Constantine, James Woods, Jack Warden, Sylvia Sidney (États-Unis, 1976, 145 mn).

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