par Lucien Logette
Jeune Cinéma n°338-339, juillet 2011
Sélection officielle en compétition du Festival de Cannes 2011.
Prix d’interprétation féminine pour Kirsten Dunst
Sorties les mercredis 10 août 2011 et 12 juillet 2023
Les déclarations d’amour de Lars von Trier envers Hitler lors d’une conférence de presse désormais historique ont été mises sur le compte d’un goût irrépressible pour la provocation. Acceptons. Il n’empêche : la parenthèse Dogma (1) et le succès ont fait oublier combien, dans ses premiers films Element of Crime (1984) et Epidemic (1987), une ambiguïté douteuse était déjà perceptible (2). C’est dommage pour ce dernier titre, qui a été obscurci par le scandale et l’excommunication qui l’a suivi. Car Melancholia méritait mieux que le prix d’interprétation décernée à Kirsten Dunst (qui aurait dû par ailleurs revenir à Tilda Swinton) : au moins un prix de la mise en scène, à défaut de celui de l’indécision narrative.
En effet, on se trouve devant deux films pour le prix d’un : un premier qui décrit, en temps presque réel, une somptueuse fête de mariage dans une somptueuse demeure, avec ballet de somptueuses voitures et festival de situations somptueusement déplaisantes, une sorte de Festen assez superbe, tout en antagonismes plus ou moins feutrés, en vacheries à peine déguisées sous le vernis bien élevé de protagonistes de qualité, John Hurt ou Charlotte Rampling. Mariage qui tourne court, l’épousée préférant s’envoyer en l’air sous les étoiles avec un invité de hasard. Fin de cet acte 1, celui du théâtre des apparences, remarquablement enlevé, même si le sujet est rebattu.
Même lieu pour l’acte 2, quelques jours plus tard, les personnages étant réduits à quatre, l’ex-future mariée, sa sœur (Charlotte Gainsbourg, toujours parfaite), son mari, propriétaire de la maison et leur enfant. La menace qui planait, informulée, sur le mariage, a pris la forme d’une exoplanète, "Melancholia", qui se rapproche dangereusement de la Terre.
Méditation sur les fins dernières, panique lorsque le viseur fabriqué par l’enfant prouve la certitude du choc, on n’est pas dans L’Étoile mystérieuse de Hergé, mais dans un film de SF alarmiste, avec raison, que vient couronner une séquence ultime de grande beauté, les derniers survivants du globe attendant l’instant final dans une cabane bricolée.
Même si l’on s’interroge sur les liens entre les deux chapitres, dont chacun existe de façon autonome, il faut reconnaître que Lars von Trier touche juste, et signe, même si ça fait mal de le reconnaître, un de ses meilleurs films depuis belle lurette.
Lucien Logette
Jeune Cinéma n°338-339, juillet 2011
1. "Dogma 95. Un manifeste, "Vœu de chasteté", dix règles et quatre films", Jeune Cinéma n°259, janvier 2000.
2. "Epidemic", Jeune Cinéma n°182, été 1987
Melancholia. Réal, sc : Lars von Trier ; ph : Manuel Alberto Claro ; mont : Molly Marlene Stensgaard ; mu : prélude de Tristan und Isolde de Richard Wagner ; déc : Jette Lehmann ; cost : Manon Rasmussen. Int : Kirsten Dunst, Charlotte Gainsbourg, Kiefer Sutherland, Stellan Skaarsgard, John Hurt, Charlotte Rampling, Alexander Skarsgård, Jesper Christensen, Brady Corbet (Danemark-Suède-France-Allemagne-Italie-Espagne, 2010, 130 min).