par Robert Grélier
Jeune Cinéma n°296-297, été 2005
Sorties le vendredi 3 avril 1925 et le mercredi 4 janvier 2017
Tous les cinéphiles connaissent le thème du Dernier des hommes (*) : l’histoire d’un portier de grand hôtel respecté par sa famille et la communauté de ses voisins à cause de son uniforme, et qui, à la suite de son changement de fonction, perd du jour au lendemain la considération de son entourage, à commencer par celle de ses proches. En raison de son âge, il ne peut plus porter de bagage et son directeur le relègue au nettoyage des lavabos.
Film symbolique aux nombreuses interprétations : sociales, politiques, philosophiques et psychanalytiques puisqu’il fut tourné en 1924 peu de temps après la défaite de la Première Guerre, et à la veille de l’arrivée du nazisme en Allemagne. Je n’y reviendrai pas, d’autant que le film est présenté ici avec ses deux fins originales : la pessimiste et l’optimiste, si je peux résumer en deux qualificatifs ces dernières scènes. En effet, la version première, jugée sans doute trop tragique par le réalisateur et la production, a été troquée en une farce ironique sur le pouvoir dû à l’apparat.
J’interviendrai sur le complément (40 minutes) du DVD édité par MK2 Vidéo.
Réalisé par le restaurateur Luciano Berriatua, cet extra est digne d’un cours de cinéma tel qu’il était enseigné à l’école de Lodz (Pologne), il y a une trentaine d’années.
Grâce au recteur fondateur de cette école, Jerzy Toeplitz, les étudiants bénéficiaient d’un enseignement pluridisciplinaire au plus haut niveau, dans lequel l’histoire de la peinture et de la musique par exemple, était aussi importante que la prise de vue.
Berriatua nous confie tout d’abord les difficultés qu’il a eues à (r)établir la copie la plus conforme à l’originale, car en fait, il y eut plusieurs versions originales : l’allemande, mais aussi deux autres destinées à l’exportation européenne et américaine. Le choix était difficile, car aucun des éléments n’était semblable !
Puis le réalisateur nous entraîne dans l’originalité du tournage, grâce à son chef opérateur, Karl Freund, qui a parlé à son propos de "caméra déchaînée". Pour obtenir un certain nombre d’effets, Murnau et son équipe technique eurent recours à une panoplie d’appareillages et de trucages (plate-forme ascenseur, décors de miroirs, habitations en trompe-l’œil, maquettes de voitures à l’arrière-plan).
Non seulement le réalisateur nous explique les intentions de Murnau, mais il n’hésite pas à nous montrer à plusieurs reprises le résultat capté par la caméra et enregistré sur l’une des versions. Sa démonstration est toujours persuasive. Jamais il ne nous dit : "C’est comme ça qu’il faut faire aujourd’hui", mais plutôt : "C’était ainsi qu’ils travaillaient pour obtenir telle émotion sur le spectateur, à une époque où les acteurs étaient muets".
Cette somme pédagogique est une source de surprises et l’on peut voir et revoir le DVD sans que soit altéré notre plaisir.
Je conseillerai aux enseignants qui auraient le bonheur de l’utiliser de faire voir cet extra en montrant simultanément le film sur grand écran. Le DVD n’a-t-il pas aussi sa part de responsabilité dans la promotion du film en salle obscure ?
Robert Grélier
Jeune Cinéma n°296-297, été 2005
Le Dernier des hommes (Der Letzte Mann). Réal : Friedrich Wilhelm Murnau ; sc : Carl Meyer ; ph : Karl Freund, Robert Baberske ; déc : Robert Herlth et Walter Röhrig. Int : Emil Jannings, Maly Delschaft, Max Hiller, Emilie Kurz, Hans Unterkircher, Olaf Storm, Hermann Vallentin, Georg John, Emmy Wyda (Allemagne, 1924, 86 mn).