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Kurosawa, Akira (1910-1998)
Rétrospective Akira Kurosawa (seconde partie)
publié le mardi 24 janvier 2017

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe


 


Dix-sept films de Akira Kurosawa ont été numérisés par la Toho, avec la participation de Wild Side. Carlotta Films, partie prenante de ce projet, sort un second volume de DVD qui comprend : Le Plus dignement, Un merveilleux dimanche, L’Ange ivre, Chien enragé, Vivre, La Forteresse cachée, Sanjuro, Barberousse. (1).

Ce qui permet à la fois de découvrir les premières réalisations de Kurosawa, dans le Japon exsangue de l’immédiat après-guerre, et de voir ou de revoir des classiques du maître nippon comme La Forteresse cachée (1958) ou Barberousse (1965). Tous ces films sont en noir et blanc.

Le Plus dignement (1944) (aka Le plus Beau, Ichiban utsukushiku) (1944)


 

C’est une curiosité : tourné un an après La Légende du grand judo, Le Plus dignement est un film de propagande exaltant l’effort de guerre de très jeunes femmes engagées dans l’industrie de l’armement.
N’est-ce que cela ?
Réalisé dans un style semi-documentaire, il laisse transparaître le regard bienveillant du réalisateur sur des adolescentes somme toute peu fanatisées et loin d’être fascinées par la mort. Il est attentif à leur fragilité et à leurs doutes, sensible à leur joie de vivre. Belle galerie de portraits tout en nuances, cet opus n’est pas indigne de la filmographie de Kurosawa.

Un merveilleux dimanche (Subarashiki nichiyobi) (1947)


 

Le titre est un clin d’œil au long métrage de Griffith Isn’t Life Wonderful (1924) tourné en Allemagne après le premier conflit mondial. Le film emprunte les codes de la comédie à la Capra. Un jeune couple, trop pauvre pour se marier, passe ensemble un jour par semaine. Elle est enthousiaste et pleine de projets, lui découragé, voire désespéré. Ils se querellent, boudent, se retrouvent. Visitent une maison, vont au zoo, au café, attentifs à chaque sou qui sort de leur poche. La caméra nous entraîne dans les rues de Tokyo, capitale alors en proie aux embrouilles et au marché noir, mais vibrante d’énergie.
Ce que la réalité n’offre pas aux tourtereaux, le rêve le leur permet. N’ayant pu avoir accès à la salle de concert, ils entendent, dans un amphithéâtre désaffecté, La Symphonie inachevée de Schubert. Par la seule force de l’imagination.

L’Ange ivre (Yoidore tenshi) (1948)


 

Ici, le quotidien ravagé se dit sur le mode du film noir dans le milieu des yakuzas, qui se sont répartis la ville et y mènent grand train. La violence fait loi.
Le seul qui fasse respecter certaines règles est un médecin alcoolique, figure ambiguë et fordienne de l’espoir, tandis que son antagoniste, un jeune malfrat tuberculeux, semble opter consciemment pour le suicide. C’est la première apparition de Toshiro Mifune et l’introduction du thème dostoïevskien du double.

Chien enragé (Nora inu) (1949)


 

Le film s’inscrit dans cette même veine du polar social ; il nous fait explorer bouges et bas-fonds où un policier tente de retrouver le revolver qui lui a été dérobé.
Sa quête devient une méditation existentielle sur le bien et le mal ; il culpabilise, se sentant responsable de chaque crime commis avec son arme de service.
Le thème du double - ou du frère ennemi - est à nouveau exploité, le truand recherché étant lui aussi un soldat démobilisé.
On trouve peu de signes de l’occupation américaine (la censure y ayant mis bon ordre), mais on voit le Japon commençant à s’américaniser ; les femmes sont toutes vêtues à l’occidentale ; la soif de consommation est tangible ; les orchestres de jazz se multiplient ainsi que les matches de hockey.

Vivre (Ikiru) (1952)


 

Kurosawa délaisse un contexte où les stigmates de la guerre sont encore omniprésents. Le film est un conte philosophique en même temps qu’une satire de la bureaucratie japonaise. L’accent est mis sur la permanence de la hiérarchie administrative.
Atteint d‘un cancer, un employé municipal apprend qu’il ne lui reste que quelques mois à vivre. Il comprend alors qu’il n’a pas vraiment vécu. Pour rattraper le temps perdu, il écrème les bars en compagnie d’un écrivain extravagant et croit retrouver l’amour en compagnie d’une rieuse jeune fille. Il se résout à donner du sens à sa fonction en faisant aboutir la pétition de femmes du voisinage qui demandent l’assainissement d’un cloaque. Il meurt seul, sous la neige, assis sur une balançoire, mais heureux… Le cloaque est devenu un jardin public.

La Forteresse cachée (Kakushi toride no san akunin) (1958)


 

D’inspiration totalement différente, le film est un grand spectacle, tourné presque entièrement en décors naturels, dans de splendides paysages.
Une réflexion sur la guerre prenant racine dans un Japon médiéval où s’affrontent les clans. Ce film d’action incluant de magnifiques batailles tournées pour la première fois en CinémaScope (ou, plus exactement, en TohoScope) fut un succès éclatant après les échecs commerciaux du Château de l’araignée (1957) et des Bas-fonds (1957) sans doute trop sombres, dans tous les sens du terme.
Le film fait donc la part belle au sublime comme au burlesque, avec deux personnages de paysans cupides et couards, entraînés malgré eux dans ces aventures.
Ajoutez à cela une touche d’érotisme et même de féminisme avec une princesse en short, indépendante, rompue à l’équitation et... aux arts martiaux.

Sanjuro (Tsubaki Sanjūrō) (1962)


 

Ce film déjoue les codes du film de samouraïs, en choisissant comme héros un guerrier sans maître, bourru, vulgaire, à la mise négligée, mais rusé et habile tacticien qui se fait fort de conseiller un groupe de jeunes idéalistes résolus à lutter contre la corruption. Il y a moins de scènes de bataille, mais plus d’intrigues et de conciliabules.
Kurosawa insiste avec humour sur l’aspect théâtral et vide de la morale guerrière. Le guerrier solitaire enseigne comment donner un signal d’assaut avec des fleurs…

Barberousse (Hakahige) (1965)


 

C’est un film de plus de trois heures, porté par un lyrisme digne des plus grandes œuvres de la littérature russe et, formellement, éblouissant.
Kurosawa mit près de deux ans à le réaliser.
Les décors où se concentre toute l’action - un hospice pour nécessiteux au nord de Tokyo - sont devenus un détour touristique obligé.
Pour ce qui est de la diégèse, le film se rapproche du genre du Bildungsroman, roman d’éducation ou de formation.
Un jeune médecin reçoit sa première affectation dans un dispensaire de pauvres ; il est exhorté à l’abnégation par Barberousse, patron bougon et tyrannique. Il se rebelle.

Au terme d’épreuves, comme dans un rite d’initiation, il change sa manière d’appréhender la misère, la maladie et la mort. Il remet en cause la notion de carrière et de sens de toute activité humaine.

Le cinéaste présente toutes sortes de récits secondaires captivants, comme celui de la nymphomane, de l’amoureux fou devenu assassin qui passe sa vie à expier, de la prostituée de 12 ans droit issue de Humiliés et offensés de Dostoïevski.

Jamais misérabiliste, Barberousse montre la condition humaine, dans une perspective christique. Véritable point d’orgue, Barberousse est le dernier film en noir et blanc de Kurosawa. Il marque aussi la fin de sa collaboration avec Toshiro Mifune.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

1. En 2016, était paru un premier coffret de neuf titres : Qui marche sur la queue du tigre, Je ne regrette rien de ma jeunesse, Vivre dans la peur, Le Château de l’araignée, Les Bas-fonds, Les Salauds dorment en paix, Yojimbo, Entre le ciel et l’enfer, Dodes’Ka-den.
En 2017, voici un nouveau coffret.

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