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Confessioni (le) (2015)
de Roberto Andò
publié le mercredi 25 janvier 2017

Le renouveau du cinéma politique italien ?

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

Sortie le mercredi 25 janvier 2017


 


Vous connaissez la parabole du cœur à greffer ?
Un homme a besoin d’un cœur pour survivre. On lui propose de choisir entre celui d’un enfant, celui d’un sportif et celui d’un banquier. Il choisit le dernier, celui qui n’a jamais servi.

C’est peut-être ce qui exprime le mieux et le plus simplement le niveau politique du nouveau film de Roberto Andò. À l’image des banderoles qui fleurissent un peu partout et opposent Love and Hate (à la manière judéo-chrétienne, mais c’est mieux que rien).

Car le "niveau" politique de ce nouveau film est difficile à situer, tant il est riche d’arguments.

Le cadre du film est familier à tous grâce à la télé : les hyper-experts sont réunis dans un hôtel de grand luxe - donc au sommet - près d’un lac, pour décider de l’avenir de la planète.

On connaît : les humbles téléspectateurs que nous sommes, grâce à des spécialistes pédagogues convoqués quotidiennement aux divers JT télé, nous devrions comprendre - donc accepter - l’état et le fonctionnement du système.
Si nous ne comprenons pas, au moins devons-nous avoir confiance en les puissants, sujets supposés savoir. Ils font au mieux. La cuisinière au gouvernement, cétait une utopie léniniste.


 


 

Donc on entre dans le film rassuré par la familiarité.

Il s’agit bien d’un "Sommet", avec plein de ministres et de gens bien sapés, avec un protocole épatant et un casting d’enfer. Discrets, dignes et réservés, conscients de leurs responsabilités, les rois du monde - les dieux de l’Olympe ? - nous sont montrés dans l’intimité de leur travail. Les rois comme les dieux doivent apparaître de temps en temps s’ils veulent garder leur pouvoir, mais sans ostentation, sous peine d’avoir l’air de parvenus. Sinon, on s’inquiète, forcément.

Cette fois (ou jamais), ils doivent se dépatouiler avec la catastrophe qui vient.
La démographie et le capitalisme ont rendu la belle idée de la démocratie impraticable et, de façon exponentielle, mettent la Terre en grand danger.
Les dés des discours sont pipés. La démocratie est devenue oligarchie. Les parlementaires sont des âmes mortes et la majorité des hommes politiques sont des hommes d’affaires qui réussissent à accumuler ce qu’on épargnait autrefois en deux ou trois générations. Les banques sont les sociétés secrètes modernes et ne rendent de comptes à personne, comme la mafia, inventée par les Italiens, qui n’ont jamais su la faire marcher. La faim et misère sont les socles du progrès.
Les rois et les dieux le savent.
Ils n’ont pas de solution, ils le savent aussi.
Ce sont des sages, ils savent qu’ils ne savent rien.
Or, il y a urgence, il faut intervenir.
Dans le confort et la grande paix de la neutralité policée, ils ont à décider, soi-disant en conscience et en connaissance de cause, de l’avenir de la planète.
Donc des humains qui l’habitent, en majorité des pauvres.

L’environnement et le décor sont plantés, apparaissent les trois personnages principaux.

D’abord, il y a le président de la BCE, Daniel Roché (Daniel Auteuil). Il est aussi - d’abord - banquier.
Il y a aussi ses deux invités : une écrivaine pour enfant, Claire Seth (Connie Nielsen), fatiguée des fairy tales et qui aimerait passer à un autre genre, au policier par exemple, et un moine, Roberto Salus (Toni Servillo).


 

C’est entre ces trois protagonistes principaux d’un Theatrum mundi new look que va se dérouler, pour nous, le vrai "débat" : le banquier, le moine et l’écrivaine. Des allégories - le fric, la morale et le récit -, mais aussi des vraies personnes, avec leur corps, leur cœur et leurs mots.

C’est l’arrivée incongrue du moine tout désorienté à l’aéroport, précédé par un essaim de femmes voilées de toutes régions musulmanes, qui nous alerte : le film ne sera ni univoque ni normé.


 


 

Quand on découvre la mort - forcément suspecte, suicide ou meurtre - du banquier-président, le sommet s’effondre, les discussions sont stoppées net, et arrive le temps de l’enquête, pour les personnages comme pour nous, les spectateurs.

La narration de Roberto Andò est toujours lisible, mais compliquée. Il mêle les débats des technocrates - dont la variabile umana n’est qu’un minuscule élément parmi d’autres -, aux états d’âmes du banquier et ses lourdes responsabilités, et qui se confesse enfin. Il émaille le tout de références intellectuelles et de citations futées, il frôle le fantastique - la métaphysique des mécréants -, et termine par une pirouette à l’italienne. Pas étonnant que certains aient trouvé ça confus, et les "idées générales", c’est bien gentil, mais ça fatigue, quand le "ici et maintenant" tenaille. Faut suivre,

Mais quand on suit, même au fond de la salle près du radiateur, c’est magnifique.

C’est bien de résister à la tentation de cataloguer le film comme thriller politique, et surtout pas mystique, même si Augustin rôde.

C’est bien de découvrir que le banquier sans illusion - métaphore de la société -, est cancéreux et foutu.

C’est marrant qu’à la fin, le berger allemand Rolf, le quatrième protagoniste principal qui ne cesse de gronder, finisse par suivre gentiment le moine qui le rebaptise d’un nom italien, Bernardo.


 


 

Surtout, il y a la confession du banquier au moine, qui nous enchante, nous autres peuple-spectateur, et qui inquiète très fort les participants au Sommet.
Car sont les péchés dont on parle en confession, et les péchés de la finance, ils les connaissent, ce sont les garants et les supports de la démocratie. Ces aveux ne peuvent être qu’une menace pour elle, qu’ils préservent et qui les préservent, vision "pragmatique", nécessaire talent des politiciens.

Ce que nous comprenons, c’est que le secret avoué du banquier, c’est sa schizophrénie. En lui, le banquier et l’homme ne communiquent plus.
Le moine ne peut que recevoir ce secret, sans avoir la moindre solution, ni la moindre pénitence à infliger au banquier, ni, naturellement, aucune possibilité de révéler ce secret essentiel aux enquêteurs.
D’abord, il vient de la confession, mais surtout personne de cette tribu ne comprendrait ces pensées aussi intempestives qu’inefficaces : "L’impuissance est ce qui nous définit le mieux, un mélange d’arrogance et de médiocrité".

"J’ai honte", aurait confié le banquier.
"Ça vous fait honneur", aurait répondu le moine.

"Qu’est-ce que nous dépensons quand nous dépensons une somme énorme ? Le temps et l’argent ne sont que des variables de l’âme" aurait affirmé le banquier.
"Je ne sais rien, je ne possède rien. Le silence ne s’achète pas. Rouille, mites, voleurs s’occupent de ce qu’on accumule. Perdre du temps n’a jamais tué personne. Je suis du côté de la compassion", aurait répondu le moine.

"So what ?" auraient clamé la chorale des politiciens, s’ils avaient su.


 

Sous le regard lointain et soucieux de l’écrivaine, s’est déroulée une "confession" à un moine pas très orthodoxe (qui a choisi de parler aux oiseaux et aux chiens). Dans le dialogue socratique qui s’établit entre les deux "héros", le banquier, dont la mort approche, redevient un citoyen à la recherche d’une vertu perdue. Le dialogue est sans issue ni repentir, et bien évidemment, sans rédemption.


 

Dehors, les puissants réunis s’agitent en vain, démunis face à la disparition d’un seul avec ce qu’ils croient être un secret financier, un chiffre, une formule magique, quelque panacée évitant le naufrage annoncé, alors qu’il ne s’agit que d’un remous intérieur, mineur et capital à la fois. La grande réorganisation du système, qui était à l’ordre du jour du Sommet, est reportée sine die.

La fable politique de Roberto Andò réunit tous les ingrédients dont on peut rêver, ici et maintenant, aussi bien ceux des récits désespérés (Orwell) que ceux des contes progressistes (Brecht).
La pirouette de la fin n’est pas une mauvaise sortie (on file à l’anglaise) mais une sorte de rebond joyeux. La prise de conscience viendra, ou pas, avant qu’il ne soit trop tard. L’important, désormais, est que, dans l’espace du film au moins, on sache la place du cœur, à défaut de la place dans le processus de production.


 

Le renouveau du cinéma politique italien ?

Les révolutions sont trahies, la démocratie est détournée, un cinéma politique digne de ce nom, à la fois diagnostic et protocole de soins, est-il possible ?

Le cinéma politique post-2008, il existe et il nous ressemble.

Il est du même tonneau que nos mélancolies de chute d’empires. Convictions rassies à force d’être sans issues, utopies réduites de toute part, pas d’Internationale pour le genre humain. Le nez dans l’actualité, coulant sous les torrents ininterrompus de l’information, ça y est, on a tout compris, les 99%, les oligarchies ploutocrates, les mensonges, les bricolages et les complots, les médias sans mémoire, les urnes truquées. Maintenant que la révolution n’est plus à l’ordre du jour, le cynisme et l’ironie post-modernes sont les seules postures élégantes.

Alors, faute de matos neuf, on retravaille les vieux matériaux, les vieux slogans, les vieilles méthodes. On se dit qu’il est temps d’apprendre à planter ses choux dans son pré-carré, pour une résistance en circuit court. On descend encore dans la rue, on parlemente sur les places, on vote par-ci, par-là, "tous ensemble", on fait ce qu’on peut.

Les petits malins, qui cherchent une place enviable sur l’échiquier, ont beau jeu de parler d’archaïsmes.


 

Au cinéma, de nos jours, ce qui est audacieux, c’est de montrer cette lente prise de conscience quasiment en temps réel, comme le font si bien les Américains depuis longtemps, sur la guerre ou sur les scandales, avec des personnages encore vivants, le docu-fiction et la série, c’est le fin du fin. On se cantonne au champ politicien du très court terme, feignant d’ignorer son délabrement universel. Dans le meilleur des cas, on établit des états des lieux en analysant les origines de la crise devenue permanente. C’est d’ailleurs souvent très bien, et souvent même, on se régale. (1)

Mais les mutations de moins en moins souterraines de nos civilisations sont ignorées, et les abîmes qui guettent la Terre et les Terriens sont déniés. (2)

Frousse de l’utopie, frousse de la critique.
Frousse, peut-être du genre "politique-fiction".

En Italie, le cinéma politique a triomphé autrefois. Il a aussi perduré, mais plutôt sous forme de sujets de société (les migrants) et de formules distillées dans des fictions sentimentales.

Pour bien voir Le confessioni, il faut oublier Viva la libertà (2013), la comédie précédente de Roberto Andò, réjouissante mais sans conséquences.

Ce nouveau film n’est pas comparable non plus aux œuvres des collègues, Rosi, Petri, Leto, Taviani, Bellocchio, Moretti, Sorrentino…
C’est un film autonome, il appartient à un nouvel univers aux plus vastes horizons, au dessus de la mêlée. Il brouille puis redistribue les cartes du cinéma politique traditionnel au profit d’une vision, même si nul "grand dessein" ne se profile encore à l’horizon.


 


 

Il pourrait être l’amorce d’un renouveau.

Il serait déjà suivi par un deuxième film, La felicità é un sistema complesso de Gianni Zanasi (2015). Un peu comme les travaux pratiques suivent le cours théorique. (3)

Et l’Italie serait à nouveau le pays de l’avant-garde.

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Seuls les vrais documentaires d’auteurs (c’est-à-dire avec un point de vue) sont de leur temps. Citons parmi mille autres passionnants, Inside Job de Charles Ferguson (2010) ou Detroit ville sauvage de Florent Tillon (2010). Les fictions politiques post-2008 sont encore rares, réalistes (JC Chandor) ou romantiques (Ryan Gosling).

2. L’année 2011 a été très productive, et puis, ça s’est calmé, comme si la réalité clouait le bec aux créateurs et brouillait leur vision. En vrac, films et séries : L’Exercice de l’État de Pierre Schoeller (2011) ; La Conquête de Xavier Durringer (2011) ; Pater de Alain Cavalier (2011) ; L’Ordre et la morale de Mathieu Kassovitz (2011) ; Les Marches du pouvoir de George Clooney (2011) ; Crédit pour tous de Jean-Pierre Mocky (2011). Ou bien : Borgen, une femme au pouvoir de Adam Price (2010) ; The Big Shorts de Adam McKay (2015) ; Enfin des bonnes nouvelles de Vincent Glenn (2016).
Il n’y a guère que Mr Robot de Sam Esmail (2015) qui ait abordé l’avenir radieux de façon frontale. Hélas, dès la saison 2, il a sombré dans des limbes brumeuses autant que lynchiennes.

3. Les deux films sont passé au festival d’Annecy cinéma italien en septembre 2016. Nous espérons la sortie en France du film de Gianni Zanasi, sur lequel nous reviendrons.
 

Le confessioni. Réal, sc : Roberto Andò ; ph : Maurizio Calvesi ; mont ; Clelio Benvento ; mu : Rossano Baldini. Int : Tony Servillo, Connie Nielsen, Julian Ovenden, Marie-Josée Croze, Moritz Bleibtreu, Lambert Wilson, Richard Sammel, Daniel Auteuil, Stéphane Freiss, Lisa Eichhorn (Italie, 2015, 103 mn).

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