Le premier plan du film cadre le dos d’un grand châssis de toile vertical, tenu par deux mains d’une femme dont on ne voit évidemment pas le visage.
Dans l’espace de ce plan fixe, une voix tonitruante, celle du père, assène à cette jeune fille l’impossibilité pour une femme de devenir artiste. Affirmation terrible suivie d’un brusque fracas du châssis lâché sur la table par les mains de ladite jeune fille. Un début violent qui augure une vie de femme et d’artiste révoltée et radicale.
Ainsi commence le troisième long métrage de Christian Schwochow, auteur du très remarqué De l’autre côté du mur en 2014.

L’artiste Paula Modersohn-Becker naît en 1876 à Dresde ; enfant, elle vit à Brême puis s’installe à Worpswede pour travailler auprès du groupe de peintres mené par Fritz Mackensen. Sa vie sera de courte durée, elle décède en 1907 d’une embolie, juste après avoir mis au monde sa fille. La brièveté de sa vie ne l’a pas empêchée de peindre plus de sept cents tableaux, de vivre une passion tumultueuse avec le peintre Otto Modersohn et de découvrir la vie parisienne du début du 20e siècle.

Interprétée par Carla Juri dont l’expression espiègle et rieuse donne au personnage de Paula sensibilité, vivacité, indépendance et gourmandise face à la vie, elle rayonne de liberté. Elle est une femme libre de "voir" et de peindre comme bon lui semble, libre de vivre pleinement aventures amoureuses et confrontations artistiques, exemple rarissime, car à cette époque, faut-il le rappeler, les femmes ne pouvaient pas être artiste et considérées comme telle.

Paula s’affirme, jusque dans son coup de pinceau qu’elle martèle à chaque touche appuyée contre la toile, détail amusant dont on ne sait s’il est inventé ou véritable mais qui sied fort bien à cette personnalité farouchement libérée de toutes convenances. Son escapade à Paris l’enrichit de rencontres amicales essentielles, le jeune Rainer Maria Rilke, incarné par Joel Basman, excentrique à souhait, son amie sculpteur Clara, interprétée par Roxane Duran, un moment épouse de Rilke et la rebelle Camille Claudel. À Paris, elle découvre aussi les plaisirs de l’amour auprès d’un partenaire bellâtre et bohème, dans une scène libertine et sensuelle.

Christian Schwochow présente Paula comme une femme intransigeante, consciente de la brièveté de la vie, avide d’expériences picturales, aimant se confronter aux artistes masculins et surtout habitée d’une volonté profonde de modifier la peinture et d’inventer un style.
Comme dans tous les biopics consacrés à la vie d’un peintre, s’organisent et se déroulent dans le récit, les différentes séquences liées au travail et au métier de peintre, ainsi l’immanquable work in progress qui revient, obsessionnel et acharné, et signe à chaque étape l’évolution personnelle de Paula.

Le film de Christian Schwochow est construit autour du travail du peintre, c’est le regard de Paula et son œuvre qui déterminent sa vie. Fulgurance de l’expression dans l’urgence de vivre pourrait être la devise de Paula Modersohn-Becker, ce que le réalisateur a fort bien traduit.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 378-379, février 2017

Paula. Réal : Christian Schwochow ; sc : Stefan Kolditz & Stephan Suschke ; ph : Frank Lamm ; mont : Jens Klüber. Int : Carla Juri, Albrecht Schuch, Roxane Duran, Joel Basman, Stanley Weber (Allemagne, 2016, 123 mn).