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Retour à Forbach (2017)
de Régis Sauder
publié le mercredi 19 avril 2017

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection ACID Cannes 2016

Sortie le mercredi 19 avril 2017


 


Dans ses deux longs métrages précédents, Régis Sauder s’était intéressé à Marseille, la ville où il vit. Nous, princesses de Clèves (2010), tourné dans un lycée, questionnait le rapport des adolescents de quartiers défavorisés à la culture en général et aux grands textes littéraires en particulier. Être là (2012) nous faisait la visite du service psychiatrique de la prison des Baumettes.

Avec Retour à Forbach, le propos est différent : l’engagement n’est pas seulement d’ordre politique et social, mais personnel, puisque le cinéaste est originaire de cette commune qu’il a quittée il y a une trentaine d’années. Les deux problématiques se croisent, s’entrelacent, se rejoignent. Alerté par le score du Front national aux élections européennes de 2014, Régis Sauder revient sur sa terre natale. Il tourne pendant près de trois ans, cessant de le faire quelque temps avant la campagne des présidentielles.


 

Il interroge ses anciens voisins et amis, ses condisciples lorrains ou "étrangers", parfois aussi les enfants de ces derniers. Les plus âgés disent le travail à la mine, aujourd’hui fermée. Doris, la patronne du Café du Marché, est un des personnages les plus pittoresques et attachants. À tous, quitter Forbach sert de leitmotiv. La plainte est le ton général employé. On regrette la solidarité de la vie d’avant, la sécurité qu’apportaient les houillères et on se désole de la raréfaction du travail : "Nous sommes aujourd’hui comme des larbins". On craint les musulmans, même si le discours n’est jamais ouvertement raciste. En contrepoint, les images nous montrent les rues désertes et les rideaux baissés des commerces définitivement fermés ou à vendre.


 

Retour à Forbach s’inscrit dans la veine des récits autobiographiques, comme ceux de Annie Ernaux, ou de Didier Éribon - on pense à Retour à Reims, où celui-ci entreprend un voyage réel et mental chez les siens pour les comprendre et mieux se connaître. Petit-fils de mineur, Régis Sauder a poursuivi le processus d’ascension sociale entamé par son père instituteur. Parce qu’il parlait sans accent lorrain et qu’il n’aimait pas jouer au ballon, l’auteur s’est fait tabasser à l’âge de 11 ans, au moment de son entrée au collège. Très vite, il a imité les codes de ceux "d’en haut". À 16 ans, il a quitté Forbach. On voulait échapper à la "hante" - les "on" étant prononcés comme des "an" dans le parler lorrain. Cette honte qui le hante, c’est celle d’être pauvre ou de devoir, à tout moment, retomber dans la misère, la "honte sociale", dont parle Didier Éribon, encore plus difficile à dire que la honte sexuelle.

Au fil du film, la colère du cinéaste semble s’apaiser. Il médite, dans un beau commentaire en voix off, sur les déterminismes sociaux qui ont gouverné sa vie, et celle des Forbachiens. Il accepte, littéralement, son héritage puis vend celui-ci - le pavillon familial - à une famille marocaine. Une image pour illustrer la transmission : celle du petit Ahmed, onze ans, qui reprend la chambre de sa propre enfance.


 


 

L’autre fil, celui de la mémoire, est la destinée personnelle présentée en miroir à celle de la ville. Son père est atteint de la maladie d’Alzheimer. De toute façon, à Forbach, "on ne se raconte pas. On laisse les souvenirs s’effacer". Régis Sauder filme contre l’oubli.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma en ligne directe


Retour à Forbach. Réal, ph : Régis Sauder ; mont : Florent Mangeot & Frédéric Bernadicou (France, 2017, 78 mn). Documentaire.



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