par Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 380, mai 2017
Sortie le mercredi 10 mai 2017
Notre rencontre avec le film de Marine Place ne date pas d’hier, mais très précisément d’il y a deux ans, lors des projections pour la sélection des films français pour Cannes.
Souffler plus fort que la mer, bien que retenu par aucune section, officielle ou parallèle, nous avait suffisamment charmés pour que nous lui offrions la couverture du n° 365 (mai 2015). Malgré ses comédiens - Corinne Masiero, désormais une vedette, et Aurélien Recoing -, il a fallu deux ans au film, sélectionné depuis dans divers festivals (1), pour trouver un accès aux salles. Comme il n’est pas certain, dans la jungle actuelle de l’exploitation, qu’il connaisse la carrière qu’il mérite, il n’est pas inutile de souligner sa sortie, que l’on souhaite moins furtive que nombre des 686 titres présentés en 2016.
En fouillant dans nos archives, nous avons retrouvé une note rédigée en avril 2015 après visionnement, à chaud et en vrac.
"Ça commence comme un documentaire sur la pêche au cabillaud, de quoi craindre le pire. En réalité, j’ai été conquis et j’ai suivi les 82 minutes sans regarder la pendule. L’argument est simple : une famille de marins-pêcheurs, la dernière, de l’île d’Hoëdic, acculée à la casse du bateau à cause de la mévente, du surendettement, etc. Et ce qui s’ensuit : le père boit, la mère finira par se suicider, la fille trouve dans la pratique obsessionnelle de la clarinette (ou du saxo-soprano ?) (2) la seule façon de survivre, avant de rejoindre le continent. Raconté comme ça, c’est un mélodrame social de quatre tonnes, de quoi rebuter le spectateur le plus engagé.
Eh bien non, c’est constamment juste, beau, gonflé et pas seulement par le vent du large. Le petit monde des îliens est remarquablement montré - la scène du chant collectif dans le bistrot passe comme du Terence Davies à l’ancienne -, la perte du sens de la vie travailleuse est bien suggéré, les évolutions des personnages sont tissées en finesse. Aurélien Recoing est bon, Corinne Masiero assure sans clichés (elle parvient à nous faire croire à son personnage et fait passer la scène du suicide, difficile sur le papier, de façon étonnante).
Et surtout, il y a cette inconnue aux yeux gris, Olivia Ross, avec, tout du long, ses pulls tricotés maison, ses hallucinations (les plans d’invasion rêvée de la mer sont très beaux), ses impros à la clarinette (ou au saxo-soprano) - elle commence par Ave Maria et finit par Ornette Coleman -, magnifique personnage de femme qui va se libérer. À la première vision, c’est du Ken Loach première manière."
Si nous l’avons ainsi reproduite, après la seconde vision, ce n’est pas par paresse, mais parce qu’il n’y a rien à modifier - sinon qu’il s’agit bien d’un saxo-soprano.
Et la référence à Ken Loach nous paraît toujours aussi justifiée.
Nous sommes devant un cinéma social, qui s’appuie sur une base documentaire précisément observée, ce qui n’entrave pas l’action mais l’étaie : si l’on croit aux situations, c’est parce que les personnages ne sont pas plaqués sur fond de réalité (on n’est pas dans un téléfilm provincial, un samedi soir sur France 3), mais qu’ils s’y sont fondus. Les gestes de pêcheurs de Aurélien Recoing ou de Olivia Ross sont aussi justes que ceux de la famille Leborgne, vrais pêcheurs protagonistes de Tempête de Samuel Collardey.
La force du film, à partir d’un paysage dévasté - la pêche est finie, la mère est morte, le père est au chômage -, est de tout de même s’achever sur une bouffée d’espoir.
Le sourire de Julie, sac à l’épaule, arpentant la terre ferme, porte une promesse de lendemains qui, s’ils ne chantent pas, seront au moins musicaux.
Henri Langlois, présentant Nicholas Ray, il y a bien longtemps, à la Cinémathèque, déclarait que la beauté de ses films tenaient à l’air qui passait derrière les personnages.
Souffler… est un film qui respire aussi fort que la mer.
Lucien Logette
Jeune Cinéma n° 380, mai 2017 (à paraître)
1. Le film a été sélectionné notamment au Festival international du film de Mannheim-Heildelberg 2016.
2. Le film a obtenu le Grand prix de la meilleure musique originale au Festival International du Film d’Aubagne 2017 (20-25 mars 2017). Aubagne est seul festival en Europe consacré à la musique de film.
Souffler plus fort que la mer. Réal : Marine Place ; sc : M.P., Ludovic du Clary ; ph : Nicolas Duchêne ; mont : Dimitri Darul ; mu : Émile Parisien. Int : Olivia Ross, Corinne Masiero, Aurélien Recoing, Annie-France Poli, Yan Tassin (France, 2015, 85 mn).