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Comtesse de Hong Kong (la) (1967)
de Charlie Chaplin
publié le dimanche 4 juin 2017

par Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°271, novembre 2001

Sortie en février 1967


 


Une poignée de diffusions sur Ciné-Classics pour cet ultime film de Charles Spencer Chaplin, devenu à peu près invisible depuis des années : en d’autres temps cinéphiliques, cela serait passé pour un événement.

Réalisé dix ans après Un roi à New York, La Comtesse de Hong Kong fut fort mal accueilli à sa sortie (à quelques exceptions notables près dont, en France, Éric Rohmer et le regretté Claude Beylie) : en 1967, le public et les critiques ne reconnurent plus leur Chaplin, pour ne rien dire de leur Charlot, dans cette histoire désuète écrite dès les années 30. Refrain connu, on parla de sénilité.


 

Unique film en couleurs de Chaplin, et le seul, depuis L’Opinion publique, où il n’apparaît pas (ou presque), La Comtesse de Hong Kong nous transporte dans le décor quasi-unique d’un paquebot en partance pour New York dans lequel embarque Natascha Alexandrov (Sophia Loren).
Fille d’émigrés russes réfugiés à Shanghai, obligée de monnayer ses charmes depuis son plus jeune âge, elle est "présentée" à Ogden Mears (Marlon Brando), tout juste nommé ambassadeur plénipotentiaire. Notre (fausse) comtesse se réfugiera dans la cabine du diplomate en espérant obtenir un passeport pour les États-Unis. Malgré la menace constante du scandale, une romance naîtra.

Délesté du sentimentalisme des Feux de la Rampe et du règlement de comptes qui alourdissait Un roi à New York, ce dernier opus nous apparaît d’une admirable sécheresse de trait.

On a reproché au film sa distribution improbable, en particulier le choix de Marlon Brando qui endossait un rôle initialement écrit pour Gary Cooper.


 


 

Mais le miscasting est justement à l’origine des principaux effets comiques et correspond au propos général du film : Ogden et, surtout, Natascha sont prisonniers de rôles qui oppriment leur être intime, pourtant toujours prêt à se manifester, à faire craquer les coutures ; leur panique, leurs mouvements de fuite et leurs gesticulations trouvent leur source dans ce conflit, générateur de rire comme de pathétique.
Il suffit d’observer les costumes de Loren et Brando, tour à tour grotesquement flottants ou exagérément étriqués pour appréhender cette inadaptation fondamentale des personnages.

D’où une impression générale de malaise, jusqu’à la nausée qui finira par saisir tout ce petit monde (y compris Chaplin dans une apparition fugace de serveur).


 

Il n’est jusqu’à la diction très particulière de Marlon Brando qui ne soit utilisée pour conférer à son visage le caractère figé du masque ; mais là où les cicatrices du roi Shadow finissaient par céder sous les éclats de rire, l’élan vital peine à se manifester.

La mise en scène, d’une belle pureté, privilégie les déplacements latéraux dans l’espace de la cabine divisée en salon-chambre à coucher : cet à-plat accentue le caractère de marionnettes humaines de Loren et Brando qui, menacés par d’agressifs coups de sonnette de visiteurs impromptus, se livrent à des gesticulations schizophrènes où ils semblent se perdre eux-mêmes.


 

Dans une chorégraphie où chacun semble doué d’ubiquité, les personnages tendent à disparaître au profit de leurs rôles successifs : Natascha sera contrainte d’épouser le valet de chambre puis (fictivement) le collaborateur d’Ogden, pour se voir en quelque sorte nier toute identité : une vraie Comtesse Shadow ; lors d’une inénarrable nuit de noces, Hudson le valet adoptera l’attitude d’un mari mais sera obligé de faire le service auprès de Natascha ; comme le dit la comtesse, la vie n’est qu’une succession d’instants.

Un même relativisme caractérise l’idéologie du film, autrefois assumée avec plus de netteté par Chaplin : la contiguïté des espaces, intime et public, de la cabine frappe de ridicule ou d’arbitraire les attitudes sociales et les discours dans lesquels se complaisent les personnages ; Chaplin y moque même les envolées humanistes dont Brando gratifie des journalistes et que lui-même aurait pu autrefois prendre à son compte (alors que le maquillage de l’acteur comme sa gestuelle évoquent constamment les diverses incarnations du petit homme).

"La vie est désir" : cela pourrait être la devise de nombre de films de Chaplin.
Ici, la phrase est mise dans la bouche d’une insupportable fille à papa, à égalité de dérision avec un discours sur "l’immortalité de l’âme".


 

Même si le diplomate finit par renoncer à se soucier des apparences et rejoint Natascha dans un hôtel hawaïen, un certain malaise plane aussi sur cette conclusion abrupte et déconcertante. Ogden et Natascha y accomplissent une dernière danse, mais paraissent curieusement absents, avant de sortir définitivement du champ.
Restent des danseurs anonymes aux poses engoncées, comme si la rigidité du code social devait finalement l’emporter.

Un dernier mot sur une possible postérité de cette œuvre oubliée.
Éric Rohmer admirait particulièrement la présence économe de la Nature dans ce film d’intérieurs, de même que l’articulation du naturel et de l’artifice.
Émettons donc l’hypothèse que la Comtesse et le diplomate ont été une source d’inspiration pour L’Anglaise et le duc où, chez l’imposant Dreyfus, la bête perce aussi plus d’une fois sous le costume.

Patrick Saffar
Jeune Cinéma n°271, novembre 2001

La Comtesse de Hong Kong (A Countess From Hong Kong). Réal, sc et mus : Charlie Chaplin ; ph : Arthur Ibbetson. Int : Sophia Loren, Marlon Brando, Sydney Chaplin, Tippi Hedren (Grande-Bretagne-États-Unis, 1967, 103 mn).

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