Ouagadougou 2017
Fespaco, 25e édition
publié le mardi 13 juin 2017

Fespaco 25e édition (25 février-4 mars 2017)

par Pierre Beneyton

Jeune Cinéma en ligne directe


 


Un jour, un chef des Mossi (ethnie majoritaire au Burkina-Faso) m’a dit : "Ici, ce sont les femmes qui font vivre le pays. Le matin, elles sont dans la rue de bonne heure pour aller travailler. Et pour une association, entre elles ça marche, mais dès qu’il y a deux hommes ce sont des disputes".
Et le Fespaco en est l’illustration, alors honneur aux femmes.

C’est d’ailleurs le personnage de Félicité de Alain Gomis (2017), femme courageuse qui se bat pour sauver son fils, qui a imposé ce film pour l’Étalon d’Or de cette 25e édition du Fespaco.
Chanteuse dans un bar à Kinshasa, elle impose à tous sa volonté, et sa rage de vivre. Alain Gomis est récompensé une deuxième fois. On peut admettre que ses qualités techniques (images et son) ont favorisé son couronnement.
Mais, comme précédemment pour Timbuktu, on peut se demander quel sens donner à cette récompense. Favorise-t-elle la sortie de ce film ? Non. Fait-elle plaisir à une certaine conception d’un cinéma, plus occidental ? Oui. Empêche-t-elle de mettre en lumière un autre film, plus tourné vers le seul marché africain ? Oui.


 

Les films burkinabés font toujours salle pleine à Ouagadougou, mais celui de Appoline Traoré (déjà remarquée pour son film précédent, Moi, Zaphira (Fespaco 2013) tout particulièrement.
Il faut dire que Frontières (2017), histoire d’un voyage en car, entre Bamako et Cotonou via Ouagadougou, de quatre femmes qui vont vendre des tissus ou participer au mariage d’une sœur, est une réussite. Elles trouvent là l’occasion de construire des solidarités pour passer les épreuves que sont les frontières ou les hommes. C’est un film qui emporte par sa description du quotidien. Voilà un film multirécompensé, mais curieusement absent du palmarès officiel (sinon le prix Paul-Robeson).


 

Le cinéma algérien reste très marqué par la guerre d’Algérie, même plus de cinquante ans après sa fin. C’est souvent l’occasion de glorifier les combattant pour l’indépendance, dans des films pesants.
Avec Le Puits de Lotfi Bouchouchi (2016), l’histoire est vue par le petit bout de la lorgnette : un village, seulement habité par des femmes et des enfants, est soupçonné par un officier français, d’être un repaire de soutiens aux insurgés. Encercler le village et tirer sur tout ce qui veut en sortir, telle est la stratégie pour obtenir que le village, affamé et assoiffé, donne les renseignements recherchés. C’est l’occasion d’une galerie de portraits, dans les deux camps, de personnages balayant toutes les personnalités et leur évolution au fil du temps. Aucune caricature, des traits de caractère marqués qui s’estompent, et une très belle qualité d’interprétation. Le réalisateur a longtemps attendu avant de tourner son premier film, justement récompensé par le Prix de la première œuvre.


 

Le grand éclat de rire du Fespaco est venu du Bénin, grâce à un habitué du festival, Amoussou Sylvestre, bien connu comme comédien. Ses films précédents ont été sélectionnés, et témoignaient déjà d’une volonté de faire rire sur des sujets graves.
Dans L’Orage africain, un continent sous influence (2017), il s’agit d’un président fraîchement élu, et qui veut tenir sa promesse de se réapproprier le contrôle des richesses minières du pays. Bien sûr, tous les possédants occidentaux voudront maintenir leurs positions, et tenteront tout pour discréditer cet empêcheur de tourner en rond, jusqu’à susciter une révolution populaire. Bien sûr, tout est bien qui finit bien, mais il faut vivre la projection au milieu d’un public tout acquis à sa cause. Il réagit à certaines tirades ou répliques qui demandent une nouvelle façon de faire de la politique, de faire disparaître la corruption, bref une politique idéaliste, et cela résonne fort au pays de Thomas Sankara, dont le souvenir reste vif. Le film n’a obtenu que l’Étalon d’argent, celui d’or aurait donné un éclairage particulier à un cinéma militant et riant, et favorisé sa diffusion en Afrique et ailleurs.


 

L’autre film négligé du palmarès est Wùlu, de Daouda Coulibally (2017), film malien qui conte l’histoire de Ladji, et de sa déception de n’avoir pas eu la promotion qu’il devait avoir, au profit du cousin de son patron. Que faire alors dans ce pays, pauvre et en crise ? Intégrer l’organisation du trafic de drogue, servir de transporteur, seul moyen de s’élever socialement et financièrement. Le bonheur est ailleurs, mais la misère pousse au crime, et à la recherche de la facilité, même au risque de sa vie. Le film, ancré dans le réel et parlant sans complaisance de la situation économique, sociale, et politique, est porté par un excellent comédien (Ibrahim Koma, justement récompensé par le prix d’interprétation.


 

La veine des films portant sur des sujets traditionnels est toujours vivante.
C’est le cas de Aïsha du Tanzanien Chande Omar, (2015) (1) sur la problématique du mariage forcé, et les rapports hommes-femmes même dans un milieu socialement favorisé.


 

C’est aussi le cas de L’Alliance d’or de la Nigériane Rhamatou Keita, dont le sujet est ancré dans la tradition des conteurs.


 

Tout comme le court métrage Folo, il était une fois du Burkinabé Loci Hermann Kwene (2017).


 

Mais, d’une façon générale, ce sont les apects les plus modernes des sociétés africaines qui ont été le mieux traités par les courts métrages.

Très drôle tant par le jeu des acteurs que par la thématique, le court métrage Lodgers du Nigérian Ogunlola Keni, raconte les déboires d’un couple socialement bien établi et tentant sa chance vers l’Eldorado anglais. Incompréhension des Occidentaux, déstabilisation des migrants, avec un air de comédie rondement menée.


 

Le Poulain d’or du court métrage est allé à un film traitant à la fois de la tradition (l’obligation de faire constater que la nuit de noces a été consommée et que la mariée était vierge), et du fait que dans le monde d’aujourd’hui, il faut penser à sauver les apparences, car la vie a évolué. La fin heureuse sera faite d’une solution ironique, et les deux acteurs sont pour beaucoup dans la récompense obtenue par Hyménée de la Marocaine Violaine Bellet (2016).


 

En moins de vingt minutes, on peut parler du problème de l’hébergement des parents vieillissants, malades et taciturnes, dans la Tunisie d’aujourd’hui, comme dans On est bien comme ça de Mehdi M. Barsaoui (2016). La lumière viendra de la relation entre le vieil homme et son petit-fils qu’une complicité accidentelle et grandissante leur permettra de bien vivre en roulant dans la farine les parents du gamin. Rire sensible et émotion pour ce film, récompensé par le Poulain de bronze.


 

La diffusion des films est essentielle sur le continent africain, car là où les islamistes passent, les cinémas disparaissent, là où triomphe l’économie de marché, ferment les salles. À Ouagadougou, là où vit le cinéma africain, Canal + a ouvert une nouvelle salle, qui servira aussi de salle de spectacle - mais dans le nouveau quartier résidentiel de Ouaga 2000, loin des quartiers populaires…


 

Au-delà du Fespaco et des nombreux festivals qui lui sont consacrés en France, le cinéma africain ira-t-il bientôt à la rencontre des Africains, et ouvrira-t-il des circuits commerciaux et des télévisions ?
Depuis dix ans, de nombreux films de qualité sont tombés aux oubliettes, et leurs réalisateurs ont disparu du paysage cinématographique.
Au cinéma aussi, beaucoup d’énergie gaspillée.

Piere Beneyton
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Chandé Omar est directeur de la télévision de Zanzibar.

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