par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°381, été 2017
Sélection officielle de la Mostra de Venise 2016
Sortie le mercredi 12 juillet 2017
Un nouveau film d’Emir Kusturica, entre folie et tendresse, poésie et violence, drôlerie et tragédie. Du pur Kusturica et un Kusturica amoureux !
En pleine guerre des Balkans, Kosta (Kusturica lui-même) transporte le précieux lait de vache à dos d’âne pour ravitailler les combattants ; il traverse pour cela chaque jour, au péril de sa vie, la ligne de front. Autour de lui dans le village ce ne sont que pétarades, explosions, fumées et flammes. Il est aimé par une jeune femme du village (Sloboda Micalovic) mais une mystérieuse et belle réfugiée italienne (Monica Bellucci) bouleverse les futurs plans de mariage.
Tout est complètement fou dans ce film, les animaux, les hommes et les femmes, les objets eux-mêmes ont un grain de folie, l’immense horloge arrache les mains, les oies plongent dans la baignoire de sang du cochon, les serpents boivent le lait, eux-mêmes surveillés par les faucons qui survolent le village et se posent sur l’épaule de Kosta.
La guerre fait rage sans cesse et malgré elle les situations insolites, et parfois merveilleuses, adviennent dans une sorte de félicité enchanteresse. Il règne dans le film une douceur de regard sur la vie, même lors des moments les plus chaotiques et désorientés, la vie est plus belle que jamais semble dire le réalisateur. Monica Bellucci apporte par sa présence un climat des années soixante, à la Sophia Loren, charme, tendresse et beauté rayonnante.
Kosta, lui, arpente à dos d’âne le village, un parapluie ouvert au-dessus de la tête, imagerie chère à Fernando Arrabal, qui, lui aussi en pleine guerre civile, promène dans L’Arbre de Guernica son héroïne vandale à dos d’âne, avec également un parapluie en guise de bouclier.
Images évoquant probablement un certain détachement, une mise à l’écart volontaire du conflit, peut-être la certitude de ne pas être victime et surtout de pouvoir en réchapper miraculeusement protégé par le parapluie ouvert sous le ciel. Et il en réchappe après tant de dangers de toutes sortes, certains épouvantables, sans la belle Monica, qui meurt.
Revient ainsi à plusieurs reprises le visage de Kusturica, filmé plein cadre, dont l’expression teintée de mélancolie, semble se regarder en train de faire son propre film. Ce n’est pas de la lassitude, plutôt une forme de sagesse, jusque dans le dernier plan magnifique où il accomplit un véritable travail de Sisyphe.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n°381, été 2017
On the Milky Road. Réal, sc : Emir Kusturica ; ph : Goran Volarevic ; mont : Svetolic Mica Zajc ; mu : Stribor Kusturica. Int : Emir Kusturica, Monica Bellucci, Sloboda Micalovic, Miki Manojlovic, Natasa Ninkovic (Serbie-Grande-Bretagne-États-Unis, 2016, 125 mn).