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Glaneurs et la glaneuse (les) (1999)
de Agnès Varda
publié le mardi 29 juillet 2014

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 264, octobre 2000

Sortie le mercredi 7 juillet 2000


 


Hormis Les Mille et Une Nuits, film de commande pas très convaincant pour les cents ans du cinéma, Agnès Varda s’était consacrée à la mémoire de Jacques Demy (Les demoiselles ont 25 ans, l’Univers de Jacques Demy). Son goût pour le documentaire s’y manifestait de manière éclatante pour faire vivre l’œuvre de son mari-artiste. Ce travail de deuil accompli, elle revient au style inimitable de ce que l’on pourrait appeler, dans son cas, le poème documentaire.


 


 

Les Glaneurs et la glaneuse part des illustrations de la rubrique "glaneurs" du Larousse et du célèbre tableau de Millet qui accompagne la définition.
Le choix du mot ne relève bien évidemment pas du hasard. Agnès Varda s’est toujours comportée en glaneuse, ramassant avec ses appareils photos ou dans ses films (y compris ses œuvres de fiction) les fragments de réalité dans lesquels elle débusque, par son regard amoureux, la beauté cachée du monde et des gens.

Ici, elle part à la rencontre de celles et ceux qui récupèrent ce que la société de consommation laisse sur ses marges, aliments, objets divers pour les recycler chacun à sa manière. Ce faisant, elle ébauche presque un art de vivre dans lequel elle retrouve ce qui constitue sa propre démarche de cinéaste.


 

C’est d’abord un regard en mouvement.
En voiture, elle parcourt la France, disponible pour toutes les rencontres, découvrant des glaneurs ordinaires, des artistes de la récupération, des marginaux ou des laissés pour compte qui rejoignent parfois ses personnages de fiction (ceux de Sans toit ni loi par exemple). Cette liberté de mouvement retentit bien évidemment sur le film qui s’organise en se faisant, ouvert à chaque instant aux hasards de la vie.


 

Du coup, la pensée d’Agnès Varda vagabonde au gré de ses découvertes. Sa voix, ses mots jouent avec les images dans un contrepoint poétique. Le banal (des camions sur l’autoroute, des pommes de terre, une pendule sans aiguilles) bascule dans l’art, le pauvre s’enrichit dans un recyclage éthique et esthétique libéré des contraintes purement économiques. Cette pensée en mouvement conduit donc le spectateur à regarder lui aussi le monde différemment, à se mettre en état de "glanage". Belle métaphore de ce qu’est au fond le cinéma, celui d’Agnès Varda en tout cas.


 

Bien sûr, il s’agit d’un cinéma à la première personne.
En même temps qu’elle observe le monde qu’elle parcourt, Agnès Varda s’observe elle-même dans le rapport à son propre corps, au temps qui passe et, en définitive, à la mort. Ainsi, elle pose son regard sur ses mains comme elle le faisait sur celles de Jacques Demy dans Jacquot de Nantes. Il y a là un écho émouvant mais aussi une mise à distance assumée de ce qu’elle reconnaît comme inéluctable.

Avec Les Glaneurs et la glaneuse, Agnès Varda utilise un caméscope digital qui lui donne une plus grande mobilité, une plus grande liberté.
Elle découvre ce nouvel instrument avec gourmandise allant jusqu’à filmer le manuel d’utilisation. Si elle se laisse aller à garder dans son montage l’accident de la "valse du bouchon de l’objectif", elle essaye aussi des possibilités spécifiques à ce genre de caméscope, et c’est alors beaucoup plus intéressant.
Surtout, son regard reste celui d’une véritable cinéaste.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n° 264, octobre 2000

Les Glaneurs et la glaneuse. Réal. et commentaire : Agnès Varda ; collectif image : Stéphane Krausz, Didier Rouget, Didier Doussin, Pascal Sautelet, Agnès Varda ; mu : Joanna Bruzdowicz (France, 1999, 82 mn). Documentaire.

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