par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 2 août 2017
Les délocalisations, c’est le mal, on est contre. Les salariés surtout, qui, à tout âge, voudraient bien vivre des vies "normales" sédentaires et ont des traites à payer. Et, aussi, du moins en apparence, les politiques qui veulent accéder au rang avantageux et envié d’élus de la nation et les gouvernements ballotés.
Il n’y a que la logique rationnelle et argumentée, imparable, du capitalisme (croissance, PIB, rentabilité, actionnaires), ses diverses incarnations et ses quelques bénéficiaires qui sont pour. Peu de gens mais puissants.
On est contre, donc on se mobilise, on s’engage, on se radicalise, on descend dans la rue, on manifeste, on brusque les marionnettes et les sous-chefs, tout ça en vain évidemment. "On" n’a aucun pouvoir.
Ça engendre d’excellents documentaires, des catharsis vaguement collectives qui adoucissent un instant les douleurs de "On". Et puis, en avant comme avant.
Voilà la réalité.
Les rêves des individus sont plus complexes. La fameuse revendication "vivre et travailler au pays" des années 70 traine encore dans les consciences, toute prête à reprendre du service dès que les villes deviendront inhabitables.
À la même époque, s’épanouissait le désir de lointains voyages, facilités par les charters. Une très belle et vieille idée - initiation, exploration, connaissance d’un monde différent, ouvert et accueillant - qui, elle, aura du mal à renaître, totalement rabougrie, même avec les divers low cost, la guerre étant partout qui nous cerne.
On délocalise l’entreprise en Inde ? Il y a 40 ans, ça aurait été une aubaine pour tous les jeunes salariés sans charges. Mais qui pourrait s’en réjouir aujourd’hui ? Sans compter que le déménagement n’est pas pris en charge par la boîte.
Aglaé (India Hair), elle, elle le peut.
Son métier, elle l’adore. Créer des accidents, casser des vraies bagnoles et de faux bonshommes, c’est le pied, mieux encore qu’une vocation.
Elle veut obstinément le garder, ça peut être ailleurs sans problème, en Inde par exemple. Au grand étonnement des patrons (et des syndicalistes) de l’entreprise, qui croyaient être débarrassés du problème et pas habitués à ce qu’on leur résiste façon judo, accompagnant le mouvement de l’agresseur. Elle entraîne deux collègues, Liette (Julie Depardieu) et Marcelle (Yolande Moreau.)
Et voilà les trois Grâces parties sur la route, dans un apprentissage de leur âge, affrontant des questions essentielles de survie (qui pourront leur servir un jour) genre : Comment traverser à pieds le désert du Kazakhstan sans boire ni manger.
Et, quand même, compter sur la solidarité ouvrière.
Éric Gravel, dont c’est le premier long métrage, a écrit un scénario ambitieux pour un genre (le road movie) un peu exténué. Il a choisi d’en rire et les trois blondes sur la route sont parfaites. Gaël Morel, aussi, avec Prendre le large (2017), avait pris la question des délocalisations par ce bout de la lorgnette, sur un ton nettement moins léger.
L’arrivée des ouvriers "inconscients" marquerait-t-elle l’entrée dans un cinéma "dégagé" ?
Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe
Crash Test Aglaé. Réal : Éric Gravel ; sc et dial : É.G. & Fabrice de Costil ; ph : Gilles Piquard ; mont : Reynald Bertrand ; mu : Philippe Deshaies, Lionel Flairs & Benoit Rault. Int : India Hair, Julie Depardieu, Yolande Moreau, Anne Charrier, Éric Berger, Hans Zischler (France, 2017, 81mn).