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Gauguin-Voyage de Tahiti (2017)
de Édouard Deluc
publié le mercredi 20 septembre 2017

par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017

Sortie le mercredi 20 septembre 2017


 


Auteur du Mariage à Mendoza en 2012, Edouard Deluc consacre à Paul Gauguin un hommage, digne de son œuvre et de son courage, en filmant le premier voyage en Polynésie que fit le peintre en 1891 (il y restera trois ans). Le peintre a tout quitté, famille, amis, Paris, pour s’exiler dans la luxuriante nature de Tahiti et y bâtir son œuvre prémonitoire de l’art moderne.


 

Le réalisateur choisit de montrer la rupture de Gauguin avec la tradition picturale et la société qu’il récuse, et il cherche à filmer à "la hauteur du primitivisme" de l’œuvre du peintre. Il s’inspire de son journal Noa Noa (1), où sont relatées jour après jour les impressions de sa nouvelle vie, l’harmonie de la nature, la poésie du temps, la grâce des Maoris et la beauté de Tehura, dont il tombe amoureux.


 

Un film rugueux comme l’effort, brut et sauvage, un film qui évoque le labeur, la fatigue, le désir et la ferveur. Deluc a suivi de près la trajectoire de Gauguin, éprouvé ses émotions devant la dureté du travail et le lyrisme des paysages. Projet qu’il n’aurait pu mener à bien sans la personnalité à la fois rebelle et généreuse de Vincent Cassel, Gauguin incarné, tout en présence physique, véritable bête de somme, qui, pour gagner quelques sous - la peinture n’intéressant aucun acheteur local -, travaille comme débardeur sur le port.

La caméra de Édouard Deluc le suit dans ses déplacements, de dos comme de face, cadrant un corps qui peine et résiste.
Gauguin dit de lui-même, dans son journal, qu’il est un homme bon : il apparaît ici comme un être habité de lumière, charmé et attendri par la beauté, brûlant d’impatience d’exprimer ce qu’il voit autour de lui.


 


 

Le haut de son visage est filmé en plans rapprochés, éclairés sur un fond sombre, les yeux rivés sur le sujet, excités par l’obsession du travail.
Les séances de peinture sont filmées comme un mystère sacré, un culte divin voué à on ne sait quelle pratique magique. Gauguin peint sans arrêt, tâtonne, essaie différents supports, la peinture, la gravure sur bois, la sculpture, mais il manque de matériaux.


 

Ce que montre Deluc, que d’autres réalisateurs de biopics omettent ou négligent, c’est la difficulté à travailler en paix, face à la pénurie et à la pauvreté. Comme la difficulté de pratiquer un métier souvent méprisé par son entourage, en tous cas très rarement considéré comme un travail.
Et puis le film s’envole vers la figure du voyageur solitaire, parti conquérir d’autres cieux, prenant soudain une dimension romanesque, à la poursuite de quelques fantômes, le faussaire de ses sculptures et l’amant de Tehura.

Pour finir le voyage à Tahiti, Edouard Deluc filme un à un, en ultime signature au destin maudit du peintre - qui fut rapatrié comme "artiste en détresse" -, les tableaux de Gauguin correspondant aux différentes poses de Tehura, son modèle et sa muse.

Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017

1. Paul Gauguin, Noa Noa, préface de Victor Segalen, postface de Sylvain Goudemare, coll. Omnia Poche, Paris, Bartillat, 2017.

Gauguin-Voyage de Tahiti. Réal, sc : Édouard Deluc ; sc : Thomas Lilti, Étienne Comar, Sarak Kaminsky ; ph : Pierre Cottereau ; mont : Guerric Catala ; mu : Warren Ellis. Int : Vincent Cassel, Tuheï Adams, Malik Zidi, Marc Barbé, Ian McCamy, Pernille Bergendorff (France, 2017, 102 mn).

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