home > Films > Deux hommes en fuite (1970)
Deux hommes en fuite (1970)
de Joseph Losey
publié le mardi 26 septembre 2017

par Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017

Sorties les mercredis 11 novembre 1970 et 27 septembre 2017


 


Jeune Cinéma avait rendu compte - en son temps, lors de sa sortie en 1970 - du film de Joseph Losey, Figures in a Landscape, traduit (à tort, selon l’auteur) par Deux hommes en fuite.
Il est vrai que le titre français limite à la fois la polysémie et le caractère pictural d’un film-paysage tourné en Technicolor, écran large et Panavision dans la Sierra Nevada de Grenade par l’un des plus grands chefs opérateurs du siècle passé, Henri Alekan, qui avait signé l’image du tout premier long métrage européen de Losey, Imbarco a Mezzanotte (1952).


 


 

Le parti pris abstrait permet au cinéaste d’exprimer le plus avec le moins.
Avec l’aide de son comédien principal, Robert Shaw, il a réduit à une épure le roman éponyme que Barry England localisait dans un Vietnam en guerre.
Plaçant ses personnages dans un non-lieu et situant l’action en une époque indéfinie, il déborde non seulement le cadre du roman, mais tout ce qui aurait pu faire dater l’œuvre. Près de cinquante ans après sa réalisation, Figures in a Landscape n’a en effet pas pris une ride, et l’opus semble plus novateur que nombre de ses œuvres de la même époque, bien plus académiques ou attendues.


 


 

Cette transposition transcende aussi les genres cinématographiques : le film de guerre, d’action, d’évasion, la course-poursuite (ici nullement burlesque), l’exercice de style fantastique façon La Chasse du comte Zaroff (1932).
Le thème de la traque, Losey l’avait abordé sur le mode SF dans These Are the Damned (1962) où la violence des teddy-boys n’était rien à côté de la menace du complexe militaro-industriel et de l’arme nucléaire.


 


 

L’hélicoptère qui représente l’ennemi anonyme, tout-puissant, doué d’ubiquité annonce le tout aussi métaphysique Duel (1971) de Spielberg ainsi que les drones utilisés de nos jours dans les guerres dites modernes. Avec les scènes du combat inégal entre l’homme et la machine, avatar de l’oiseau de proie, Losey se réfère au Hitchcock de North by Northwest (1959) et au James Bond de Terence Young, From Russia with Love (1963).


 

Le spectacle proposé, rythmé par des redites, des répétitions obsessives et des effets de boucle relève du cauchemar. Peu importe que les fuyards soient des prisonniers en cavale, des soldats en déroute ou des déserteurs ; leur conduite seule intéresse le réalisateur : leurs rapports, leur transformation intérieure. Oppressante, vertigineuse, la géographie décrite est mentale. En ce sens, le film dresse la carte de l’état – de l’État - paranoïaque.

Nicole Gabriel
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017

Deux hommes en fuite (Figures in a Landscape). Réal : Joseph Losey ; sc : Robert Shaw, d’après Barry England ; ph : Henri Alekan ; mont : Reginald Beck ; mu : Richard Rodney Bennett. Int : Robert Shaw, Malcolm McDowell, Henry Woolf, Christopher Malcolm (Grande-Bretagne, 1970, 110 mn).

Revue Jeune Cinéma - Mentions Légales et Contacts