par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017
Sélection officielle Un certain regard du Festival de Cannes 2017
Sortie le mercredi 11 octobre 2017
Stephan Komandarev réalise son cinquième film, portrait de la Bulgarie et de ses habitants, imaginé d’après une série d’événements réels. Le scénario regroupe les histoires vécues par six chauffeurs de taxi de nuit, la première est relayée et discutée à la radio.
À l’instar de Taxi Téhéran de Jafar Panahi, où la voiture est à la fois le studio de cinéma et le lieu de confidences et revendications politiques, Taxi Sofia, au titre en clin d’œil amical au cinéaste iranien, est filmé également de l’intérieur des voitures avec une petite caméra numérique renforçant l’aspect documentaire. Loin de la dérision du film iranien, Taxi Sofia est le lieu où la perdition trouve son refuge, là où elle s’exprime, se revendique et trouve son salut.
Les histoires ne sont pas liées entre elles, et pourtant, chacune semble renvoyer à l’autre sa finalité, son issue improbable et parfois misérable.
Beaux moments d’humanité où l’un des chauffeurs sauve du suicide un désespéré, tandis qu’un autre, anéanti par le chagrin, se blottit contre le dos d’un chien égaré comme lui sur le bord d’une route. Un autre encore transporte un malheureux pour une greffe du cœur. D’autres histoires sont plus triviales et cruelles, telle celle d’une lycéenne souhaitant rejoindre un hôtel alors que le chauffeur, révolté d’avoir compris le trafic de sa beauté, la ramène de force à son école. Plus tard, ce même chauffeur, en proie aux pires difficultés pour nourrir sa famille, se rendra malgré lui coupable de meurtre.
Chaque histoire individuelle décrit les mêmes maux, dénuement et détresse dans un monde sans perspective. Les individus ont la certitude que rien ne pourra les sauver de leur triste destin. La couleur du film est obscure, aussi sombre que leur présent.
Stephan Komandarev filme de misérables vies dans la Bulgarie en pleine crise économique et sociale. Il témoigne de l’état de pauvreté de la population, montre l’extrême abandon des services d’urbanisme de l’État sur la ville et surtout son intolérable et lâche abandon face à la corruption et à toutes les pratiques mafieuses.
Parfois aussi, comme si cela allait de soi, la pauvreté appelant la pauvreté, il enregistre quelques allusions racistes à la venue des migrants prenant le pain des Bulgares. Un film de fiction dont le scénario résonne d’une tragique authenticité face à un état des lieux infiniment triste où chacun crie, parfois, à en perdre la vie.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017
Taxi Sofia (Posoki). Réal, sc : Stephan Komandarev ; sc : Simeon Ventsislavov ; ph : Vesselin Hristov ; mont : Nina Altaparmakova. Int : Vasil Vassilev, Ivan Barnev, Assen Blatechki, Irini Zhambonas (Bulgarie-Allemagne-Macédoine, 2017, 103 mn).