par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 11 octobre 2017
Empruntés à Baudelaire, les mots "l’époque, la mode, la morale, la passion, aspects de l’art d’une décennie 1977-1987" formaient le titre d’une exposition du Centre Pompidou. Ils conviendraient parfaitement pour commenter et débattre de La Passion Van Gogh, réalisé par Dorota Kobiela et Hugh Welchman.
En effet, notre époque autorise à "réinventer" l’œuvre picturale de Van Gogh, comme celle de n’importe quel artiste. La mode encourage et favorise l’idée de l’animer en la transformant, le cas échéant, en bande dessinée. La morale n’y attache pas grande importance. Quant à la passion, elle reste la seule possibilité d’explication plausible d’une telle entreprise. Passion ici déployée par les réalisateurs pour parvenir à leurs fins, ce premier long métrage d’animation entièrement peint à la main : 62 450 plans ou huiles, peints par 90 artistes européens. Diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Varsovie, Dorota Kobiela a suivi l’enseignement du cinéma d’animation polonais, le plus célèbre et le meilleur du monde.
Le récit débute un an après la mort du peintre, le 27 juillet 1890. Le facteur Roulin charge son fils Armand de remettre l’ultime lettre écrite par Vincent Van Gogh à son frère Théo.
Deux temps se partagent le récit, le passé énoncé en noir & blanc, le présent en couleurs. Le premier évoque les bagarres artistiques entre Van Gogh et Gauguin, l’affection profonde de Théo pour Vincent, les querelles de bistrot et toutes les petites histoires qui entourent la personnalité de Van Gogh. Le deuxième représente le voyage du fils du facteur à la recherche de Théo et les rencontres et péripéties qu’il va vivre. L’étrangeté du suicide du peintre guide le récit, fondé sur de nouvelles analyses d’historiens, qui tendraient à prouver que la mort de Van Gogh serait un crime plutôt qu’un suicide, avec preuves à l’appui et démonstrations.
On est d’abord heurté par l’impertinence et l’audace d’oser transposer l’œuvre de Van Gogh en tableaux animés, puis contrarié par le fait que cela soit envisageable et envisagé. Mais la vision tremblée des œuvres a quelque chose qui aurait affaire avec la malédiction qui fut le lot de Van Gogh sa vie durant. Voir les touches de couleur si particulières du peintre, telles des gouttes de pluies prises dans des tourbillons sans fin, s’animer continuellement, vacillantes, comme si elles étaient sur le point d’être posées, encore hésitantes, sur la toile, est un vertige pour l’historien de l’art. Car indubitablement nous sommes en face de faux Van Gogh et en face d’un geste réinventé.
"Il fallait parfois transformer une toile représentant une scène de jour en une scène de nuit, ou encore un tableau peint en automne ou en hiver en une œuvre estivale". Pour les producteurs, la peinture n’est pas un art de l’ombre et de la lumière, mais un art modifiable à merci selon la volonté de chacun.
Et puis, au fil de la vision, quelque attrait mystérieux attire l’attention et la capture vers l’histoire romanesque d’un homme étrange, à la vie difficile, qui aurait eu des comportements jugés répréhensibles par la société, un homme seul, incompris et génial. Sans doute est-ce la voix de Pierre Niney qui procure cet effet, voix dont le timbre rassure et donne à la narration, riche en événements, l’esquisse du destin glorieux du peintre. Le film avance lentement, alternant couleurs et noir & blanc, traversant des scènes mélancoliques, colériques, chaleureuses où la vie de Vincent semble présente dans quelques éclats de vérité retranscrits à la faveur des lettres à son frère.
Mais la question demeure, au-delà d’une prouesse technique remarquable : en quoi ce "grand-œuvre" d’animation remplit-il l’objectif des réalisateurs et de la production et des 90 peintres qui y ont participé : transmettre la passion de Van Gogh ?
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma en ligne directe
La Passion Van Gogh (Loving Vincent). Réal, sc : Dorota Kobiela & Hugh Welchman ; ph : Tristan Oliver & Lukasz Zal ; mont : D.K. & Justyna Wierszynska ; mu : Clint Mansell. (Grande-Bretagne-Pologne, 2017, 88 mn).