par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe
Jack Ralite (1928-2017) est mort dimanche 12 novembre 2017.
C’était un homme politique.
Militant communiste depuis 1947, député-maire (1973-1981), ministre (1981-1983), sénateur (1995-2011). Il a été ministre de la Santé puis de l’Emploi du gouvernement Mauroy (1981-1983).
Pourtant il restera sans doute, dans les mémoires humaines incertaines hors archives, "ministre de la Culture".
Pas un vrai ministre, mais un ambassadeur, un messager, un héraut, un leader, un "réalisateur" de projets.
Pas la culture décorative, au service de la distinction dans les salons et les dîners. Même s’il savait y tenir sa place si c’était nécessaire.
Mais, toute sa vie, la "culture" qui pourrait, si on s’en donnait la peine, libérer et émanciper le peuple et, de son temps, ce mot avait encore un sens.
La belle et bonne culture, l’éducation populaire, historique, rêvée par la Résistance, le Groupe Octobre, ou la Décentralisation théâtrale de Jean Vilar et Jeanne Laurent.
Il disait : "Un théâtre est aussi indispensable qu’une école, un dispensaire ou un stade". Pendant quelques décennies, ce fut une évidence : le théâtre (prolongé par le cinéma) a aboli ce qui séparait la scène de la salle, les théâtreux ont rejoint les spectateurs, la fosse d’orchestre est devenue un poste frontière sans douaniers.
Et, par beau ou mauvais temps, il était toujours là aux côtés des artistes. (1)
C’était un homme public intègre, indigné avant la lettre et la mode.
C’était un homme cultivé old fashion. Ce qu’il disait venait de réflexions et de convictions, solides, étayées, inventives, engagées, et les vents lui étaient favorables. Ça ne faisait jamais "collection de printemps" venant de sortir.
C’était aussi un vrai "camarade", et pas seulement des encartés.
C’était un "honnête homme" (à tous les sens de ce terme qui traverse encore les siècles), et donc - hélas - un homme du passé, si on regarde la plupart de ceux du présent qui s’agitent avec tintamarres de casseroles sur tous les écrans modernes, tout autour de soi.
On le pleure surtout à Aubervilliers, mais aussi dans tous les théâtres publics, et tout spécialement dans le sien, La Commune, qui a eu 50 ans en 2015.
* 50 ans du théâtre d’Aubervilliers de Éric Garreau (2015).
Il est donc mort (2), lui qui créait du réel en parlant haut et fort, rejoignant dans la légende ses artistes bienaimés, Jean Vilar (1912-1971), Antoine Vitez (1930-1990), et même Jean Renoir (1894-1979).
On pense à Gabriel Garran (né en 1929) et on se souvient de l’hommage que Ralite lui avait rendu chez Lucien Attoun (né en 1935), en 2013.
Est-ce bien seulement lui qu’on pleure, et pas aussi toutes ces utopies qui piquent du nez comme des lantanas sans eau ? Alors que, comme les lantanas, il suffirait d’un ou deux arrosoirs d’eau pure pour qu’elles reprennent goût à la vie et refleurissent partout, dans les villes et hors d’elles, et ce serait reparti comme en 36, vers le soleil levant, comme au ciné ?
Sauf peut-être, au cours de cet hiver de nos mécontentements, où il faut clairement élaguer, pour le repos nécessaire et mérité de l’hibernation, en avant vers des printemps qui prennent le temps.
Car nos défaites ne prouvent rien, les choses ne restent pas ce qu’elles sont.
Quand ceux qui règnent auront parlé, ceux sur qui ils régnaient parleront.
Qui donc ose dire : jamais ? (3)
Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Aujourd’hui, il faut beaucoup chercher sur le Net ce qui prolongerait cette grande vague comme ses surfeurs. Un site qui offre quelques pistes.
3. Bertolt Brecht, Éloge de la dialectique, traduction de Maurice Regnaut, Poèmes, tome 3, L’Arche, 2000.