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Argent amer (2016)
de Wang Bing
publié le mardi 21 novembre 2017

par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 384, décembre 2017 (à paraître)

Prix Orizzonti du meilleur scénario de la Mostra de Venise 2016

Sortie le mercredi 22 novembre 2017


 


La dictature du prolétariat a cédé la place à celle des machines à coudre à Huzhou, cité ouvrière bourdonnante des environs de Shanghaï.
La caméra de Wang Bing (1) suit deux jeunes ouvriers, tout juste sortis de l’adolescence, qui s’exilent volontairement de la province du Yunnan vers Huzhou, à plus de 2500 km, pour trouver du travail.
Le début donne lieu à des scènes intimistes, comme le départ de la jeune fille, confiée à un membre de la famille un peu inquiet, mais aussi la séquence dans le train, pour un voyage que Wang Bing lui-même fit de nombreuses fois et qui dure deux jours et une nuit.


 


 

La lenteur du film est à l’unisson de l’immensité de la Chine. Quand on dit que la caméra suit les personnages, ce n’est pas un vain mot, car ils s’adressent parfois à celle-ci, ce qui donne une matérialité à l’histoire racontée et à la vie des ces ouvriers qui ne demandent qu’à gagner assez d’argent pour faire vivre leurs familles.

La méthode de Wang Bing n’a guère changé depuis ses premiers grands films. Il traque ses personnages pendant de longues heures. Ici, il a suivi ces ouvriers du textile (les plus bas dans le classement du prolétariat chinois, juste avant les mineurs et les briquetiers) pendant plus de deux ans. La durée importante des rushes donnera bientôt naissance, déclare-t-il, à un autre film, alors que le projet des Âmes mortes (anciennement Past in the Present) n’est pas encore achevé.

Sur le vécu de ces ouvriers malmenés, Argent amer, prix du scénario à la Mostra de Venise 2017, n’est pas un film facile. Un peu long, peut-être, avec ses deux heures trente, mais on se laisse gagner à la fois par une sorte d’hypnose devant le monde du travail et par le traitement politique de la mise en scène. Le film s’attarde sur des détails (les montagnes de vêtements, les ballots de tissus, le travail des couturiers sur des doudounes, etc.), mais aussi sur tout ce qui fait le quotidien de ces travailleurs déplacés, avec un sens théâtral propre à la culture chinoise (disputes violentes entre époux, ennui et passivité pour certains et rêve d’un avenir meilleur pour d’autres).


 


 

Pas de révolte : ils sont venus volontairement et ils ne pourront rien trouver de mieux ailleurs, même si c’est leur argument ultime. Mais sans doute cette condition est-elle mieux acceptée dans la mesure où les patrons sont tout aussi malheureux et presque aussi pauvres que leurs ouvriers. Et cette situation semble convenir parfaitement à l’État, qui a tout intérêt à conserver cette économie semi-capitaliste qui a fait entrer la Chine dans le monde de la concurrence. Les ouvriers ne sont guère mieux considérés qu’en Europe, comme le résume le dossier de presse : "Ma petite entreprise connaît la crise, elle n’est pas la seule… De nombreux patrons chinois n’ont pas hésité ces dernières années à délocaliser leur production là où les salaires sont plus bas, dans l’ouest chinois ou même en Asie du Sud-Est."


 

Les jeunes adultes du Yunnan et des autres provinces encore (un peu) rurales savent ce qui les attend, et ce n’est pas pour rien que le titre fait référence au chef-d’œuvre néoréaliste de Giuseppe De Santis, Riz amer (1949).

Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n° 384, décembre 2017

1. À l’ouest des rails (2003), Les Trois Sœurs du Yunnan (2012), Pères et fils (2014), Ta’ang (2016).

Argent amer (Bitter Money). Réal, sc, ph, mont : Wang Bing ; ph : Yoshitaka Maeda ; mont : Dominique Auvray (Hong Kong-France, 2016, 156 mn). Documentaire.

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