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Féret, René (1945-2015) (e)
Entretien avec Jean-Max Méjean (2013)
publié le samedi 21 septembre 2013

Rencontre avec René Féret (1945-2015)
à propos de Le Prochain Film (2013)

Jeune Cinéma n°354, automne 2013


Après quelques films en costumes et en musique, René Féret revient à un genre de cinéma plus proche de nous, même s’il s’agit de raconter, à fleur d’images, les affres du créateur, en l’occurrence un cinéaste qui veut écrire un film comique pour son frère, acteur, désireux de jouer la comédie.
Bien sûr, on pense un peu à Federico Fellini et à Huit et demi, idéal indépassable, ainsi que Féret le reconnaît dans l’entretien qu’il nous a accordé.

Le Prochain Film - et il faut se pencher sur la signification de son titre - est en fait un film à faire, qui tente de se faire, et qui se fera (ou ne se fera pas) mais qui prépare déjà le suivant, comme si l’artiste était sans cesse en quête des moyens pour réaliser son prochain projet.

L’auteur de Baptême propose, mine de rien, une réflexion sur la création.

Lorsqu’il s’agit de faire vivre des personnages, il faut se heurter aux difficultés de la narration, pour ce qui appartient au roman, mais l’affaire devient plus compliquée lorsqu’il s’agit d’un film.

Il faut tenir compte du scénario qui, ici, de manière fellinienne, a l’air de se construire en même temps que le film, mais ce n’est bien sûr qu’une illusion, une facétie du cinéaste pour brouiller les pistes et faire croire qu’il ne sait pas où il va.

Il faut se heurter aussi aux volontés des acteurs, et René Féret sait de quoi il parle puisqu’il a vécu avec une comédienne. S’est-il inventé ce frère imaginaire qui le rend chèvre en voulant tourner une comédie ?

Quant au producteur, il existe sans doute réellement et c’est un élément non négligeable.

Le film est une belle réflexion sur l’imbrication de la vie privée et du cinéma, avec une manière loufoque de dépeindre le quotidien d’un réalisateur.

René Féret ne nous avait pas habitués à cette sorte de légèreté, comme s’il s’accordait une pause pour mieux retrouver l’inspiration des films graves ou sociétaux qui l’ont rendu célèbre.
Le titre prend alors tout son sel, comme si celui-ci n’en était que le prologue.
Comme si, à la manière du Guido de Fellini, il ne parvenait pas à agencer toutes les pièces du puzzle, et nous offrait un film déjà raté, impossible à faire, à diriger. Il propose alors au spectateur d’accepter d’entrer dans le jeu des apparences et de se laisser porter par une histoire en train de se faire devant nos yeux, comme Stardust Memories de Woody Allen (déjà hommage à Otto e mezzo).

Il est particulièrement bien assisté par son équipe : Antoine Chappey, Sabrina Seyvecou dans les rôles respectifs du frère et de l’épouse. Mentions spéciales à Marilyne Canto qu’on ne présente plus et au toujours excellent Frédéric Pierrot, qui dégagent un charme et une présence incroyables.
Et, comme toujours chez l’auteur, on retrouve l’équipe familiale et amicale très proche qui traverse presque chaque film : Lisa et Marie Féret, mais aussi Christophe Rossignon (le producteur), déjà dans Madame Rosario.

Le Prochain Film, est-ce alors ce film en train de se faire, en train de trouver une issue même de secours, scénario autour d’une histoire qui, comme toutes les histoires, pourrait être complètement différente et tout à fait la même ? Le prochain film, nous prévient René Féret, ce sera sur Anton Tchekhov qui, à l’âge de 29 ans, décide de tout abandonner pour aller témoigner sur les bagnards de l’île de Sakhaline. Comme quoi ce cinéaste du Nord, sait raconter toutes les histoires d’un monde protéiforme.

J.M.M


Jeune Cinéma : Votre film est encore un film familial à tous les sens du terme, mais différent des précédents ? Est-ce un retour aux sources ou un revirement dans votre carrière prolifique ?

René Féret : Ni retour aux sources, ni revirement. Je suis sur une ligne de liberté, obéissant à mes envies de films. J’ai eu envie de parler de la création avec Nannerl, la sœur de Mozart, celui-ci en parle aussi. Je vais continuer sur ce thème avec le prochain qui parle d’une circonstance de la vie d’Anton Tchekhov. Entre deux films historiques, je suis revenu à un film plus personnel qui se passe aujourd’hui et qui englobe ma vie familiale et professionnelle.

JC : Avez-vous la sensation de réaliser ici, d’une certaine manière, votre Huit et demi ?

R.F. : Je n’ai pas la prétention d’avoir réalisé un film aussi important. Vous évoquez Fellini, quel bel exemple de liberté, d’inspiration et de talent authentique.

JC : Les acteurs sont magnifiques. Sur quels critères les avez-vous choisis ?

R.F. : Je les ai choisis parce que je les aime. J’ai tenté de les mettre dans des situations propices à l’expression de leurs qualités, dans la liberté, le jeu, l’amitié, l’improvisation.

JC : La musique occupe une place importante dans tous vos films, notamment Nannerl, mais dans celui-ci également. Êtes-vous musicien par ailleurs ?

R.F. : Ici, j’avais repéré un beau morceau de Satie au piano. Je l’ai fait écouter à Marie-Jeanne Séréro, la musicienne de Nannerl. Elle m’a proposé le piano qu’on retrouve dans le film.

JC : Le film raconte les relations difficiles entre réalisateur et comédien. Est-ce en partie votre propre expérience ?

R.F. : J’ai vécu avec une actrice pendant quelques années, quelques moments du film sont inspirés par certains de mes souvenirs personnels. J’adore les acteurs, j’aime leur pratique, la fragilité de leur inspiration, leurs difficultés à s’intégrer dans la société. Ils sont parfois difficiles à gérer dans les relations, mais quelle beauté quand ils arrivent à produire un jeu personnel et original.

JC : Après deux films en costumes, tels que Nannerl, la sœur de Mozart et Madame Solario, est-ce à dire que vous revenez à l’époque contemporaine ?

R.F. : Je vais, je viens, film d’époque, film d’aujourd’hui. Tout dépend du sujet. Je n’ai ni a priori ni interdit.

JC : Quels sont vos cinq films préférés ?

R.F. : The Hours ; À nos amours ; Mouchette ; Accords et désaccords ; L’Atalante.

JC : Qu’emporteriez-vous sur une île déserte ?

R.F. : Un couteau suisse.

JC : Si on vous accordait un seul vœu, quel serait-il ?

R.F. : Avoir le don et l’envie de faire du bien aux autres.

JC : Quels sont vos projets actuels ?

R.F. : Un film qui concerne un épisode de la vie de Tchekhov. À 30 ans, à la suite de la mort de son frère, il a une crise morale sur la création littéraire et part faire une enquête sur les prisonniers de l’île de Sakhaline, située à 12 000 km de Moscou…

Propos recueillis par Jean-Max Méjean
Jeune Cinéma n°354, automne 2013

Le Prochain Film. réal, sc, pr : René Féret ; ph : Benjamin Etchazareta ; mont : Fabienne Féret ; int : Frédéric Pierrot, Sabrina Seveycou, Antoine Chappey, Marilyne Canto, Marié Féret, Grégory Gadebois, Lisa Féret. (F, 2013, 80 min.)

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