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Isola (2016)
de Fabianny Deschamps
publié le vendredi 8 décembre 2017

par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Sélection ACID du festival de Cannes 2016

Sortie le mercredi 6 décembre 2017


 


C’est nulle part, sur une île imaginaire, qui pourrait être Lesbos, Samos, Lampedusa, ou n’importe où entre La Paz, Miami et Marrakech.
Une jeune Chinoise, échouée là on ne sait comment, réfugiée dans une grotte, attend.
Elle attend un enfant à qui elle prépare, comme elle peut, un nid douillet, et elle attend son homme, priant le ciel pour qu’il vienne, de la mer, la rejoindre. Chaque jour, elle va attendre les bateaux, chaque jour, les arrivages submergent un peu plus l’île, la transformant en prison infernale.


 


 


 

Fabianny Deschamps dit qu’elle réalise ses films très rapidement. "parce qu’il y a urgence". Cela la définit comme une cinéaste politique.

Avec son premier film, New Territories, ce n’était pas évident.
Deschamps affirmait que le réel ne l’intéressait pas et ce faux documentaire naviguait plutôt dans les eaux poétiques de l’imaginaire. Pourtant, on y discernait, derrière un récit énigmatique, une volonté d’intervention sur le réel. Tant il est vrai que l’imaginaire n’a d’existence définie qu’en miroir du réel, qu’elle affirmait vouloir traverser ce miroir, aller et retour et qu’elle y parvenait.

Dans Isola, son deuxième long métrage, le propos est un peu plus explicite et même assez simple : pas d’histoires entremêlées cette fois-ci, simplement le portrait d’un dérèglement. La folie, plutôt ici l’obsession monomaniaque, n’est pas toujours facile à représenter. On y croit pourtant, grâce à l’actrice Yilin Yang, on croit à l’île, aux contrôles policiers, aux violences nocturnes, à son amant de passage, camionneur sympathique, qui lui permet de survivre, à sa capture du migrant rescapé de la noyade, qu’elle prend pour son mari et qu’elle met en cage.


 


 


 

"Isola", ça veut dire "île" et ça veut dire "seule".
"Le film est une allégorie, c’est un conte", dit la réalisatrice, alors qu’elle a tourné, en rusant, dans des zones de rétention réelles, en quasi clandestinité.


 

Au mot "conte", on préférerait le mot de "fable".
Car Fabianny Deschamps utilise la vieille technique brechtienne : en nous montrant ce que font les héros eux-mêmes, fuir et dénier, elle nous oblige à nous regarder nous-mêmes et à nous voir enfin, aveuglés par l’accumulation des images répétitives sans dénouement, résignés à ce qu’on voudrait nous faire prendre pour une fatalité.


 

En traitant certaines scènes dans un style qui frôle l’artificiel de la science-fiction, elle crée cette bonne vieille distance, nécessaire à nos myopies.

En ne choisissant pas entre documentaire et fiction, entre réel et imaginaire, mais en établissant un échange continu entre les deux territoires, elle nous allume un regard neuf et donc concerné, elle nous déniaise de toute pensée magique.


 

En définitive, Fabianny Deschamps est bien une cinéaste politique, et on est heureux que son univers différent vienne prêter main-forte aux cohortes des autres cinémas engagés.

Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe

Isola. Réal, sc : Fabianny Deschamps ; ph : Hazem Berrabah ; mont : Gilles Volta ; mu : Olaf Hund. Int : Yilin Yang, Yassine Fadel, Enrico Roccaforte (France, 2016, 93 mn).

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