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Delair, Suzy (1917-2020)
Une vie, une œuvre
publié le jeudi 19 mars 2020

par Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe


 


Suzanne Pierrette Delaire, dite Suzy Delair, née le 31 décembre 1917 à Paris est morte le dimanche 15 mars 2020.


Cent ans… ce 31 décembre 2017.
L’événement ramène Suzy Delair au devant de l’actualité, mais il y a un peu plus de quarante ans qu’on ne l’a pas vu apparaître sur un écran - et encore, son rôle dans Oublie-moi, Mandoline de Michel Wyn (1976) n’était-il guère déterminant.

Sa filmographie est longue, qui va de 1930 - elle fit de la figuration encore adolescente - à 1976, mais elle ne brilla véritablement - avec quel éclat ! - que le temps d’une décennie, entre 1941 ( Le Dernier des six de Georges Lacombe) et 1950 ( Souvenirs perdus de Christian-Jaque).


 


 

Dans la quinzaine de films auxquels elle participe avant-guerre, il faut de bons yeux pour l’identifier, couturière, danseuse ou fille des rues.

Mais Henri-Georges Clouzot, son compagnon d’alors, lui façonne, pour Le Dernier des six, qu’il scénarise, le personnage sur mesure de Mila Malou, chanteuse de beuglant, insupportable gaffeuse accrochée à son inspecteur Wens d’amant (Pierre Fresnay), qui efface complètement la vedette féminine en titre, Michèle Alfa.
Un rôle digne de Ginger Rogers, qu’elle interprète avec un tel allant, que Clouzot le reprend et le développe dans L’assassin habite au 21, qu’il réalise l’année suivante et où elle se montre encore plus casse-pied, directement sortie d’une screw-ball comedy américaine.


 

Dotée d’une telle nature, elle aurait dû poursuivre sa carrière sur le même rythme.
Mais ses choix douteux durant cette rude période - elle fut du fameux voyage à Berlin de mars 1942, sans avoir les mêmes excuses que ses partenaires (1) et tint quelques paroles chaleureuses envers les occupants - eurent pour résultat, après la Libération, une suspension d’activité décrétée par les comités d’épuration.

C’est Clouzot, encore, qui la rétablit sur son socle en faisant d’elle, en 1947, l’héroïne de Quai des Orfèvres, Jenny Lamour remplaçant Mila Malou mais conservant les mêmes attributs exaspérants, sa légèreté sentimentale, sa voix étonnante et son sex-appeal d’époque : Avec son tralala, entonné en tenue de scène affriolante, devint un tube qui traversa quelques générations d’après-guerre.


 

Trois rôles similaires de chanteuse - Henri Jeanson lui en fournira un quatrième dans Lady Paname (1950), gentillette évocation des music-halls des années 20, dont elle est le seul élément qui surnage dans le souvenir -, on aurait pu la croire limitée à cette unique facette, si Jean Grémillon n’était passé par là.

Dans Pattes blanches (1949), mariée à Fernand Ledoux mais écartelée entre Paul Bernard et Michel Bouquet - tout cela finira mal pour Odette Le Guen, étranglée et balancée du haut d’une falaise bretonne -, elle montre qu’elle n’est pas seulement une aguicheuse à la voix ravissante, mais une actrice capable d’aborder de belle manière le drame le plus noir.


 

Mais ce qui pouvait constituer une nouvelle voie se ferma très vite, après le naufrage, signé Léo Joannon, de Atoll K (1951), où elle fut la partenaire de Laurel & Hardy.

Pour ressurgir, elle dut attendre 1956 et la célèbre bagarre dans le lavoir de Gervaise (René Clément), qui voit Maria Schell lui administrer une fessée mémorable - ultime moment où elle dévoila ses dessous.


 

Les quelques rôles qu’elle tint ensuite, chez Claude Autant-Lara ( Les Régates de San Francisco, 1960), Luchino Visconti ( Rocco et ses frères, 1960) ou Marcel Carné ( Du mouron pour les petits oiseaux, 1963), ne furent qu’épisodiques, même si elle prouvait qu’elle n’avait rien perdu de son talent accrocheur (la bouchère folle de son corps chez Carné, par exemple).

C’est par défaut qu’elle interpréta, fort bien d’ailleurs, l’épouse de Louis de Funès, à la place de sa partenaire habituelle Claude Gensac, dans Les Aventures de rabbi Jacob de Gérard Oury (1973), qui lui offrit autant de spectateurs que tous ses films des quinze années précédentes. Les jeux étaient faits. Elle n’avait que 56 ans, mais le cinéma français n’avait plus de rôle pour elle et elle ne trouva place (et encore, petite), au cours des années 80, que dans quelques séries télévisées.


 

Si, malgré l’éloignement des écrans, elle ne fut jamais oubliée, c’est parce qu’elle incarna, à un moment précis, et avec un abattage sans pareil, un type rare dans le cinéma français.
Raymond Chirat la décrit avec raison comme "une formidable comédienne de fantaisie sachant tout faire, jouer, chanter, danser". Pourquoi ce ne fut pas suffisant, c’est une autre histoire.

Au moins, centenaire ou non, demeure-t-elle inoubliable : nul besoin d’être un spécialiste du cinéma patrimonial pour se souvenir de Suzy Delair.
Il suffit d’avoir vu une fois Mila Malou, Jenny Lamour ou Odette Le Guen.
Combien d’actrices ont le même privilège ?

Lucien Logette
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Cf. Continental Film de Christine Leteux (Jeune Cinéma n° 384, décembre 2017, p. 108).



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