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Sadoyan, Isabelle (1928-2017)
Une vie, une œuvre
publié le dimanche 15 octobre 2017

Isabelle Sadoyan (1928-2017)
par Bernard Chardère

Suivi de

Pour Isabelle Sadoyan
par Philippe Morier-Genoud

Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017


 


"Je ne me sens vivante que quand je joue, le reste du temps, je suis à moitié morte."

Certes, pour se souvenir de Isabelle Sadoyan dans Bottines et collets montés, la première pièce présentée par le Théâtre de la Comédie de Lyon, dans la mise en scène de Planchon, les spectateurs ne sont plus légion. (1)

Premier lieu "de province" où l’on jouait tous les soirs, dans une salle que les comédiens avaient bâtie eux-mêmes… peu courant. Indispensable était un second métier : Isabelle tenait des rôles, dans le comique comme dans le dramatique ; elle créait et réalisait aussi les costumes, avec talent, invention.

Elle nous a quittés, à peine sortie de scène, puisqu’elle donnait encore, il y a peu, la réplique à Robert Hirsch. (2)


 

"Eh bien, disait-elle après ses dernières représentations, c’est la première fois qu’on m’a dit Je vous aime. Même dans la vie !" - "Parce que les Normands sont très pudiques", ajoutait-elle, pensant à Jean Bouise.
"Les Arméniens aussi" ajoutait le photographe Rajak Ohanian. (3)

Elle avait encore un projet avec Jean Becker, elle voyait toujours ses amis, comme Omar Sharif. (4)
Ses obsèques furent réglées par elle-même, dans le détail, "que tout soit bien !" (ainsi : pas de discours !).

Quelques mots pour rappeler la présence, les nuances, les silences de son moustachu époux, Jean Bouise, (5) qui fut l’un des meilleurs seconds rôles du cinéma français à partir de Z (1969) et durant vingt années, participa, outre ses prestations sur les planches avec Roger Planchon, à maints films importants, des Choses de la vie à Mr. Klein.


 

Isabelle a interprété quatre-vingts pièces et cinquante films, selon Philippe Crubéry, qui a ronéoté 134 pages d’entretien avec elle, en 2014 (une édition illustrée serait bienvenue).

Depuis 2000, elle tournait dans un ou deux films par an (Tavernier, Lelouch, Becker, Miller, Desplechin), dans des courts métrages (comme Bouise, elle a toujours aidé les jeunes), tenait des rôles dans des séries TV (Louis la Brocante ou Un village français), fait des apparitions au théâtre…

Sans doute n’a-t-on pas accordé à Isabelle Sadoyan, sur scène, l’importance qu’elle aurait méritée.
Souhaitons que ne soient oubliés ni Vilar ni Vitez, même si les théâtres ne sont guère des lieux où l’on aime rappeler l’importance des grands anciens.

Bernard Chardère
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017

1. Bottines et collets montés d’après Eugène Labiche et Georges Courteline, mise en scène de Roger Planchon, Théâtre de la Comédie de Lyon (1951).

2. Avant de s’envoler de Florian Zeller, mise en scène de Ladislas Chollat, Théâtre de l’Œuvre (5 octobre 2016-15 janvier 2017). Isabelle Sadoyan est morte le 10 juillet 2017. Robert Hirsch (1925-2017), mort le 16 novembre 2017, ne lui a pas survécu longtemps.

3. Cf. Hommage de Isabelle Sadoyan à Rajak Ohanian, réalisation de Vartan Ohanian (2014)

4. Omar Sharif (1932-2015).

5. Jean Bouise (1921-1989).



Pour Isabelle Sadoyan

Elle nous invita un jour, Caroline et moi (nous étions ses proches voisins un temps) dans sa petite maison de Saint-Hilaire-de-Brens, blottie dans un bosquet au bout d’un sentier improbable. La salle culturelle de ce village porte le nom de Jean Bouise, son compagnon que nous admirions tous.

Mais l’éclat de son talent, Isabelle non seulement l’a partagé avec lui, mais l’a prolongé de son charme, de sa constance, et surtout de son exemplaire rigueur professionnelle, au théâtre comme à l’écran. La scène désormais se sépare d’elle, mais elle demeure, dans notre souvenir, aussi juste, drôle et immédiate que les personnages qu’elle nous offrait et qui renouvelaient chaque fois immanquablement notre plaisir.

La liste est longue pour convoquer tous "ses" personnages.
Je ne rappellerai qu’un de ses premiers rôles - entre les répétitions avec Roger Planchon et son travail de couturière - dont elle me parla un jour : celui de Claire dans le poème dramatique de René Char, joué avec La vie est un songe de Calderon, au théâtre municipal de Tournon en 1952.

Claire, un personnage de femme bondissant comme l’eau de la Sorgue, au point qu’on n’hésitera pas d’emprunter au poète sa définition de la poésie et, l’appliquant au talent de l’actrice et au souvenir qu’elle nous laisse, d’affirmer que cette trace, avant de poursuivre journellement sa route est et sera : "… De toutes les eaux claires celle qui s’attarde le moins aux reflets de ses ponts."

Philippe Morier-Genoud
Jeune Cinéma n° 382-383, automne 2017



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