par Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe
Sortie le mercredi 17 janvier 2018
Malavida (1) sort en salles une nouvelle série de Alice Comedies, quatre courts métrages d’animation en noir et blanc muets produits par Walt Disney entre 1924 et 1926, splendidement restaurés, accompagnés d’une bande originale de l’Orchestre de Chambre d’Hôte (sic) ainsi que, pour l’un d’entre eux, d’une composition de Manu Chao. (2)
La Cinémathèque néerlandaise a sauvegardé ces trésors à partir d’éléments nitrate par elle conservés. Titra Film les a restaurés pour Malavida, corrigeant par les moyens numériques les défauts résultant de l’usure de la pellicule 35 mm, gardant ceux du profilmique originel (par exemple les petits points et les discrètes traces de crayon laissés sur les cellulos, peu visibles à l’œil nu, grossis à la projection).
Disney, le Chaplin du cartoon, réalise sa prototypique Alice en 1923, à Kansas City, avec une fillette blonde, coiffée d’anglaises, Virginia Davis (plus proche, d’ailleurs, des dessins de John Tenniel que des photos de Miss Liddell prises par Charles Lutwidge Dodgson).
Elle décrira, des années plus tard, les conditions de tournage : "Nous filmions dans un bâtiment vide. Walt recouvrait un grand panneau et le sol d’une bâche blanche et je devais jouer la pantomime. Ensuite, ils ajoutaient l’animation. C’était tellement amusant. Les enfants du voisinage jouaient aussi en tant que figurants. Étant donné que la pellicule était très chère, en général nous ne faisions qu’une seule prise".
Pour laisser page vierge au dessin, Disney utilisait donc le fond blanc pour la surimpression et non noir, comme au début du cinématographe. Virginia Davis sera remplacée par Lois Hardwick et Margie Gay, moins expressives qu’elle, mais avec des parents se contentant d’un moindre cachet.
Avec son Alice immergée en Cartoonland, le studio d’animation de Walt Disney fait dans le style épuré qui représente une économie de temps et d’argent qu’on qualifiera a posteriori de "ligne claire", qui caractérisait déjà les bandes dessinées au début du 20e siècle. Avec Les Allumettes allumées (1908) de Émile Cohl et la série Out of the Inkwell (1919) des frères Max et Dave Fleischer, le cinéma mêlait poétiquement prise de vue "réelle" et dessin d’animation.
Ce dessin tout en finesse, dans tous les sens du terme, était celui du Krazy Cat (1913) de George Herriman, du Popeye (1919) de Elzie Crisler Segar et, surtout, des cartoons de Félix le chat (1919) de Pat Sullivan (et de Otto Messmer). Il faut dire que la coproductrice de Disney, Margaret J. Winkler, lui demanda de reprendre ce héros devenu très populaire après le conflit ayant mis fin à sa collaboration avec Sullivan. Ce n’est donc pas un hasard si Julius, le chat d’Alice, ressemble comme deux gouttes d’eau au félin Félix.
Jour de pêche (Alice’s Fishy Story, 1924) nous permet de découvrir Alice (alias Virginia), entourée d’une bande de gamins extraits, dirait-on, de la bande de Little Rascals réunie par Hal Roach deux ans plus tôt, tous physiques et ethnies mélangés - cf. l’enfant noir qui porte la casquette de travers ou le petit rondouillard, sorte de fiston naturel de Roscoe Arbuckle, qui la chapeaute visière à l’envers, comme Keaton dans The Cameraman (1928) ou le pianiste Ford Lee "Buck" Washington dans Calling All Stars (1937), voire nos danseurs de hip hop.
Le film alterne scènes d’action réelles, prises à Hollywoodland, en ville puis au bord d’une rivière, nous documentant sur les modèles d’automobiles et sur leur trafic à l’époque et séquences surréelles, avec Alice entourée de personnages et de décors dessinés à la main, image par image, par l’équipe de la Laugh-O-Gram Films délocalisée en Californie (Ub Iwerks, Hugh Harman, Rudolf Ising, Carman Maxwell et Friz Freleng).
Dans La Magie du cirque (Alice’s Circus Daze, 1926), Alice est jouée par Lois Hardwick et a pour partenaire principal Julius le chat. Nous avons droit à une scène de danse du ventre et au gag qui résulte de l’inversion des rôles, le lion y jonglant avec la tête du dompteur. Une ébauche de Mickey, héros disneyen s’il en est (qui sera mis au point en 1928, dans Steamboat Willie), y est présente, les oreilles encore trop allongées et les mains dépourvues de gants blancs.
L’Ouest moutonneux (Alice in the Wooly West, 1926) est moins efficace malgré ses atouts, si l’on peut dire, sur le papier. L’opus mélange les genres et parvient à les mettre en abyme, hybridant personnage en chair et os et représentations animalières aux comportements humains, mixant comédie et western, incluant une séquence d’attaque de diligence. Le tempo enlevé et l’énervement des hors-la-loi n’empêchent pas les redites. Le personnage d’Alice tombe du véhicule qui percute un arbre, d’abord sous forme de dessin puis poursuit le mouvement, métamorphosée en véritable fillette. Margie Gay, qui l’interprète, intervient tardivement dans le récit et n’aura pratiquement plus à y jouer grand-chose, se contentant de figurer, captée d’assez loin.
La séance destinée au jeune public s’achève sur Alice joueuse de flûte (Alice the Piper, 1924), une variation sur le thème du Joueur de flûte de Hamelin des frères Grimm plaisante à regarder, inventive et obsessive à souhait.
La protagoniste et son chat domestique tentent de débarrasser un petit royaume enchanté d’envahissants souriceaux afin de toucher une prime promise par le souverain troublé dans son sommeil par ces parasites, ce qui provoque nombre de péripéties et une surenchère de gags touchant à l’absurde. Nous retrouvons la créatrice du rôle-titre, Virginia Davis. L’édition bénéficie, en outre, d’une musique inédite de Manu Chao, tout aussi espiègle et joyeuse que l’image d’origine.
Nicolas Villodre
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Malavida. Alice Comedies, vol. 1 ; Alice Comedies, vol. 2.
2. La série Alice Comedies est composée de 56 courts métrages, précédés par un pilote, Alice’s Wonderland (1923-1927). C’est la première série réalisée par Walt Disney, elle inaugure la Walt Disney Company, et sera suivie par Oswald the Lucky Rabbit (1927) et Mickey Mouse (1928). L’Orchestre de chambre d’hôte pour Jour de pêche, La Magie du cirque, L’Ouest moutonneux et Manu Chao pour Alice joueuse de flûte.
Alice’s Fishy Story (1924) ; Alice’s Circus Daze (1927) ; Alice in the Wooly West (1926) ; Alice the Piper (1924). Réal, prod : Walt Disney Productions ; ph : Rudolf Ising ; mu : Paul Dessau. Int : Virginia Davis (1 & 4), Lois Hardwick (2), Margie Gay (3).