par Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 384, décembre 2017
Sortie le mercredi 24 janvier 2018
Le film de Emmanuel Finkiel, adapté du texte éponyme de Marguerite Duras, débute par le plan fantasmé de l’écrivain Robert Antelme, retour de captivité, enlaçant sa femme (encore Marguerite Dieudonnné) sur le seuil de l’appartement de la rue Saint-Benoît à Paris.
Juin 1944, une année avant cette image.
La France est toujours occupée. Marguerite Duras et ses amis rejoignent la Résistance, alors qu’un guet-apens fomenté par Rabier (Benoît Magimel), agent de la Gestapo, entraîne l’arrestation et la déportation de Robert Antelme. Dès l’arrestation de son mari, elle cherche à savoir par tous les moyens où il se trouve. Elle se rend à la Gestapo, se rapproche même de façon équivoque de Rabier pour avoir des informations et active tous les réseaux possibles.
La douleur de l’absence s’exprime tout au long du film. Celle de Marguerite Duras à travers ses mots, et celle fabriquée par Emmanuel Finkiel, douleur perceptible à ce point sensible qu’elle est presque touchable. Il filme de jour, en extérieur, les foules, nombreuses et affolées, en intérieur, il filme au plus près des corps, proches et unis, Dionys Mascolo (Benjamin Biolay), et Marguerite Duras (Mélanie Thierry), dans la résistance à l’ennemi, comme face à l’amour et au destin. Il filme en gros plans les visages, en plans américains les corps, toujours cadrés debout, et la caméra va de l’un à l’autre lentement, toujours plus proche, rasante, aimante, envoûtante.
Les individus sont pris dans les mailles de la même histoire, se parlant et s’écoutant, en voix murmurées, chuchotées, tissant entre eux des liens de plus en plus serrés, des liens de survie. La présence forte des corps augmente la densité des mots, l’intensité des expressions et la violence de la souffrance. Le film est une douloureuse étreinte qui ne tarit pas, un enlacement des corps angoissés par l’attente des nouvelles et des jours. Douleur mentale, abstraite, qui par instant s’échappe et se dédouble en un autre corps, en miroir, s’interrogeant elle-même sur son propre état. Rarement l’absence de quelqu’un a été si fortement représentée au cinéma et si présente dans les mots.
Les acteurs font corps avec cette douleur, leur massivité solide, celle de Dionys ou de Rabier, de Morland-Mitterrand (Grégoire Leprince-Ringuet) dans sa force silencieuse. Mélanie Thierry atteint un niveau d’expression prodigieux, donnant à la douleur une sensualité et une présence émotive inégalées.
En avril 1945, Dionys Mascolo, l’amant de Marguerite Duras, va chercher Robert Antelme au camp de Dachau et le ramène à Paris. Dans une très belle scène à peine visible, aperçue d’une fenêtre en contre-plongée, une lente procession d’amis porte son corps torturé de martyr de la déportation.
Gisèle Breteau Skira
Jeune Cinéma n° 384, décembre 2017
La Douleur. Réal, sc : Emmanuel Finkiel d’après Marguerite Duras ; ph : Alexis Kavyrchine ; mont : Sylvie Lager ; déc : Lieven Base. Int : Mélanie Thierry, Benjamin Biolay, Benoît Magimel, Grégoire Leprince-Ringuet, Emmanuel Bourdieu (France, 2017, 125 mn).