Par Lucien Logette
Jeune Cinéma ligne directe (septembre 2014)
Il y a les réalisateurs classés parmi les "oubliés du cinéma français" (1), pour reprendre le titre du livre fondamental de Claude Beylie et Philippe d’Hugues - mais qui, du coup, cessent de l’être vraiment.
Il y a ceux qui ont la chance d’avoir commencé leur carrière dans les années trente et que Paul Vecchiali a examiné systématiquement dans son Encinéclopédie (2).
Et il y a ceux qui échappent aux critères vecchialiens, pour avoir débuté après 1940, et qui, oubliés au carré, ne sont pas près d’émerger du purgatoire, sauf hasard ou accident.
René Chanas est de ceux-là : une carrière réduite, neuf films en neuf ans, entre 1945 et 1954, et aucun titre qui ait particulièrement surnagé.
Les fanatiques de Michel Simon se souviennent de La Taverne du Poisson couronné (1946) et de La Carcasse et le Tord-cou (1947) - surtout du premier, à cause de Jules Berry, agrément supplémentaire.
Les scruteurs de génériques constatent avec intérêt que, dès ses débuts (Le Jugement dernier, 1945), Chanas avait su s’entourer - Henri Jeanson pour les dialogues, puis Nino Frank - et qu’il était fidèle à ses acteurs - Michèle Martin, qui tient le rôle principal dans presque tous ses films, et René Lefèvre, également scénariste et dialoguiste.
Mais pas de quoi lever le lièvre du cinéaste maudit et inconnu, ou inversement. Un réalisateur français comme il y en eut des dizaines, parfois sortis de l’ombre par le choix d’un amateur (Jean Devaivre ou Jean Faurez par la grâce de Bertrand Tavernier), plus souvent restés dans l’anonymat (quid de Christian Chamborant, Louis Cuny ou Jacques Houssin ?).
D’où le plaisir pris à découvrir sur le câble (Ciné+Classic), même pas annoncé dans la liste qui récapitule hebdomadairement les titres présentés, L’Escadron blanc, d’après le roman de Joseph Peyré, pas mal oublié aujourd’hui lui aussi, mais qui faisait jadis rêver les jeunes lecteurs de la Bibliothèque verte par ses évocations du Sahara, des valeureux spahis attaqués dans leur fortin et des vilains rebelles basanés poursuivis aux confins du désert. Aventures guerrières déjà adaptées par Augusto Genina en 1934, dans un film qui nous a toujours échappé.
Le genre a ses codes - même si le film de spahis n’est pas le film de légionnaires - et ses mythologies, képi, sable chaud, baroud, honneur et gloire posthume, avec le salut aux couleurs. On pouvait donc craindre le pire, d’autant que Chanas, à la lecture des synopsis de ses autres titres, a souvent placé ses intrigues dans ce cadre (trois films sur neuf).
En définitive, rien de tel, et L’Escadron blanc se révèle ni héroïque ni va-t-en guerre - enfin, dans les limites imposées par le genre. Le premier coup de feu ne survient qu’à la soixante-cinquième minute, le combat final contre les Berbères en rezzou se résume à quelques tirs dans l’obscurité, l’ennemi n’étant jamais montré.
L’action : une longue marche, à dos ou à côté des chameaux, dans le désert, quasiment sans événements, sinon la routine de la progression difficile dans les dunes et du bivouac.
Pas de clichés, pas de discours "colonial" et une étonnante application à filmer les goumiers indigènes de façon presque documentaire (les dialogues en arabe sont sous-titrés).
Un capitaine ferme, mais juste (Jean Chevrier, qui avait remplacé à l’époque Victor Francen dans les rôles de militaires), un lieutenant (François Patrice) fragile, qui boit pour oublier et n’est pas à la hauteur des enjeux (mais il se rattrapera au finale) et un adjudant, personnage principal (c’est lui le narrateur) bien écrit et bien interprété par René Lefèvre, dix ans tout juste après Gueule d’amour.
Aucun trémolo dans le discours, ni lors de l’enterrement au milieu de nulle part du capitaine, tué hors champ, ni, au retour au fort, lorsque l’infirmière enceinte des œuvres de Chevrier comprend qu’il est mort et disparaît dans l’ombre.
À une date où la fibre patriotique et le mélo attenant étaient vivaces, une telle discrétion est notable.
Certes, nous ne sommes pas devant un chef-d’œuvre inconnu ; la copie est dans l’état habituel des sélections René Château - noir & blanc baveux, définition floue, rayures d’époque, comme pour nous faire croire que nous sommes dans une salle en 1948.
Mais les films sonnant juste, sur un thème aussi propice à la facilité, sont trop rares pour que cette réussite en demi-teinte ne soit pas saluée.
À quand d’autres Chanas, Roger Pigaut et Raymond Bussières dans le Grand Nord canadien (Un sourire dans la tempête (1950), par exemple ?
Lucien Logette
Jeune Cinéma ligne directe (septembre 2014)
1. Beylie C. et d’Hugues Ph., Les Oubliés du cinéma français, éditions du Cerf, collection Septième Art, Paris, 1999.
2. Vecchiali, P., L’Encinéclopédie : Cinéastes français des années 1930 et leur œuvre, 2 vol., éditions de l’Œil, Paris, 2010.
L’Escadron blanc. Réal, sc : Joseph Peyré et René Chanas ; ass. réal : Jacques Baratier et Carlos Vilardebó ; ph : Nicolas Toporkoff ; mu : Jean Wiener. Int : Jean Chevrier, René Lefèvre, Michèle Martin, François Patrice (France, 1949, 104 mn)