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Pâte à tartiner, bouton rouge et cyborg
Business as usual
publié le dimanche 4 février 2018

par Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe


 


On apprend que les magasins Intermarché ne feront plus de promotion du Nutella (1).
Face à la bousculade des affamés - la pauvreté d’argent et d’esprit, le manque de tout - les services publics avaient décidé d’ouvrir une enquête de responsabilité : Qui a décidé de baisser les prix ? Car enfin, chacun sait que c’est dangereux (et interdit) de baisser les prix.


 

Bon, on en prend note, la situation est maintenant sous contrôle.
Mais on n’oubliera pas cet événement "de proximité", ce retour du refoulé dans les médias médusés : la réapparition du lumpen sans "haillons", et, parfois même, avec portables et fringues de marques, qui se fond dans les larges masses indistinctes, tricotées par les pubs de leurs télés permanentes, et les programmes ineptes spécialement conçus pour eux. Aucun mépris : "Je ne suis pas devenu socialiste parce que j’aimais les pauvres, mais parce que je les haïssais", écrivait Arthur Koestler (C’était un temps où le mot avait encore un sens).

Nous autres, complotistes, il arrive qu’on se demande s’il ne s’agirait pas d’un vaste plan d’ensemble. Sans "capital" culturel, même minimum, sans un tout petit Aufhebung fût-il "de comptoir", on ne fait pas de révolutions. Certes, elles sont démodées, voire désamorcées, et, jusqu’à nos jours, elles ont toujours été trahies. Au point que les mêmes complotistes atterrés en viennent à soupçonner que "c’est dans leur nature" - un mauvais coup de la dialectique. Mais on ne sait jamais, pensent ceux du plan d’ensemble. Vaut mieux noyauter, castrer et exclure en amont et dès l’origine, c’est plus sûr.


 


 

Dans ce micro-événement dit "Nutella", qui pourrait devenir historique, rien de bien nouveau pourtant : le dumping, les soldes et les gens qui s’écharpent, on connaît.

Ce qui est nouveau c’est le télescopage de ces "nouvelles" hétéroclites, qui se bousculent au portillon et apparaissent soudain dans leur cohérence collective : les nuits les plus chaudes depuis…, les tempêtes d’Europe à qui on donne maintenant des noms pour les distinguer, les inondations en Île-de-France dont personne n’arrive à prédire la décrue, les migrations humaines en marronniers à feuillages persistants (morts décomptés et survivants encombrants), le compte à rebours du manque d’eau vers le Jour Zéro dans le grand Sud, les provisions de pâte à tartiner très mauvaise à la santé, etc.


 

Et, sur les antennes et réseaux, nous parvient la litanie monocorde de leurs énonciations imperturbables, imperturbantes, qui enfile, en flux continu, les faits "objectifs", sans point de vue, perles fines et de culture alternées, qui "font société", comme on dit.
Car il ne faudrait pas désespérer plus l’Île Séguin, ni Billancourt I-l’usine, ni Billancourt II-la salle de concert. Obésité pour les basses classes, cancer et déréglement pour tous, c’est un constat, les faits sont acquis et digérés. Likez ou cliquez sur OK selon votre profil. 


C’est comme une préfiguration de Soleil vert 2 (Le 1 se passe en 2022). Ne manque (pour l’instant) que la gigantesque pelleteuse pour dégager la place publique.


 


 

Les mêmes complotistes paranos, se disent que le jour où l’euthanasie et le suicide assisté seront - enfin - légalisés, au lieu de se réjouir d’un progrès de civilisation, on pourra s’alarmer : le Pale Horse sera aux portes de nos remparts.

Pendant ce temps, il y a encore des économistes joyeux pour utiliser le mot de "croissance" sans la moindre vergogne, et des politiques, compétents par définition, avec qui ils interlocutent vigoureusement.
Parmi les innombrables techniques de plus en plus sophistiquées qui pourraient sauver - au moins - les meilleurs d’entre nous, l’une d’entre elle, sera radicale.


 

C’est délicieux de jouer avec quelques idées qui ont fait leur preuves : la table rase, le ground zero, la seconde chance, la belle aurore.

Pour nous distraire, une utopie charmante pointe son nez de plus en plus souvent, les reportages remplaçant progressivement les fictions : les créatures des as de la robotique, androïdes et/ou cyborg (qu’il ne faut pas confondre).

So what ?
Business as usual.
What else ?

Anne Vignaux-Laurent
Jeune Cinéma en ligne directe

1. Pour ceux qui ont zappé : L’affaire Nutella (25 janvier 2018) est sur Le Parisien comme sur France Culture.



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