par Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe
Lion d’argent et Prix du premier film à la Mostra de Venise 2017
Sortie le mercredi 7 février 2018
Le film commence comme un documentaire du genre dépouillé : une audition de divorce devant une juge blasée et des avocats distraits. Antoine est violent, Miriam obtient la garde de Julien, un gamin, avec droit de visite au père, et la sœur aînée, assez grande pour vivre sa vie et décider seule, choisit sa mère.
On riait beaucoup autrefois de la fameuse "cruauté mentale" invoquée par les femmes aux États-Unis pour obtenir divorce et pension alimentaire. La notion a fini par prendre racine en Europe, dévoilant ainsi une des réalités masquées des vies privées du patriarcat. En France, elle a changé de mot, le "harcèlement" changeant lui-même de sens, et l’arsenal juridique s’enrichissant de la notion de "pervers narcissique". Nommer les choses, c’est déjà les déshabiller de leur potentiel d’angoisse. Les nosographies rassurent, une maladie qui a un nom, même si on ne sait pas la soigner, est déjà plus acceptable. Idem pour les maladies sociales.
Aujourd’hui, en ces temps de "transparence", toujours guettée par l’exhibition, le sujet sort de la clandestinité sous les coups de gueule des féministes. Dans le même temps, il s’évente via le porte-voix des médias qui leur emboîtent le pas, friands de scandales potentiels. On peut parier, sans grand risque de se tromper, que le cinéma va s’en emparer, ad libitum durant quelques temps, au point de fabriquer un sous-genre, comme il est advenu aux films de mariage.
Le schéma du divorce (et la question des enfants), lui, a déjà été très visité, le plus souvent sur le mode de la comédie vs psychodrame à la française, alors même que, dans d’autres pays, il prenait des colorations plus sombres. (1)
Mais il n’avait pas encore jamais été aussi loin, rassemblant tous les paramètres, ni traité avec autant de maîtrise. Le film de Xavier Legrand est un des premiers (sinon le premier), malgré (ou à cause de) son décor de petit film français lambda, à révéler une telle finesse dans sa progression, ses rythmes et ses nuances.
Xavier Legrand, à partir du simple thème de la violence conjugale, morale et physique, et d’une focalisation sur le petit garçon, développe, "jusqu’à la garde" les personnages dans leur complexité et les situations dans leur perversité. Le film, insensiblement, tout en gardant le même ton, se transforme en thriller dramatique, à l’écart de tout manichéisme, sans qu’à aucun moment les spectateurs sachent vraiment à quoi s’attendre.
Il y a des films qui gagnent à être revus et c’est son cas. À la seconde vision, la force qui était sensible se transforme en puissance. Il faut dire que Léa Drucker et Denis Ménochet sont chacun remarquables, tout autant que Thomas Gioria, le petit garçon, pivot du film, qui assure de façon magistrale, et on imagine qu’il a été accompagné par une cellule d’appui psychologique.
Xavier Legrand, né en 1979, est un acteur bien connu du théâtre public, et il est un habitué des grands textes. Son premier court métrage, Avant que de tout perdre (2012), a été couvert de récompenses. Son premier long métrage semble prendre le même chemin. On est toujours étonné (épaté et heureux aussi), à Venise comme à Paris, dans ce cinéma français qui, en majorité, n’en finit pas d’être moyen dans ses factures comme dans ses visions, de voir surgir, issu de cette même classe moyenne et dans le tout petit back yard de la famille, un film qui scintille.
Sol O’Brien
Jeune Cinéma en ligne directe
1. Les cinémas des pays slaves et scandinaves révèlent souvent, et depuis longtemps, dans les festivals, quelques pépites, le dernier en date parvenu jusqu’à nos salles étant Faute d’amour de Andrey Zvyagintsev (2017).
Jusqu’à la garde. Réal, sc : Xavier Legrand ; ph : Nathalie Durand ; mont : Yorgos Lamprinos ; déc : Jérémie Sfez ; mu : Samuel Karl Bohn, Thibault Deboaisne ; Int : Denis Ménochet, Léa Drucker, Mathilde Auneveux, Thomas Giora, Florence Janas, Mathieu Saïkali, Sophie Pincemaille (France, 2017, 93 mn).