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Armée du crime (l’) (2009)
de Robert Guédiguian
publié le mercredi 21 février 2018

par Bernard Nave
Jeune Cinéma n°326-327, automne 2009

Sortie le mercredi 16 septembre 2009


Pleurer à la lecture d’une lettre de Guy Môquet, imposer sa lecture dans les écoles, la faire lire par un futur sous-ministre des Sports dans le vestiaire du XV de France, insulter la mémoire des résistants du plateau des Glières dans la foulée d’une folle nuit de mai au Fouquet’s, s’il fallait assassiner la Résistance, Sarko ne s’y serait pas mieux pris, sans parler d’une politique qui jette aux orties tout l’héritage du Conseil national de la Résistance.


 

Ce petit rappel n’est pas tout à fait étranger à l’appréciation du film de Robert Guédiguian consacré au groupe Manouchian dont les membres, des étrangers, se sont vus livrés à la vindicte comme terroristes sur la fameuse affiche rouge placardée sur les murs de la France occupée.

Retenons-nous de tout rapprochement avec la destruction de la "jungle" de Calais filmée par les caméras convoquées par Éric Besson. Promis, on arrête les incidentes sur le contexte actuel. Mais la vision de L’Armée du crime, les déclarations de Guédiguian pour la sortie de son film, incitent forcément aux rapprochements.


 

Disons donc qu’il s’agit d’un film nécessaire, ne serait-ce que parce qu’il ravive la mémoire de ces hommes pour les générations qui viennent. Si le film prend quelques libertés (mineures) avec les faits, Guédiguian s’en explique dans un court texte à la fin, c’est pour mieux faire entrer ces résistants dans la légende.
Pour ce faire, il joue sur plusieurs tableaux. Celui de la reconstitution historique par le soin apporté aux décors, aux costumes. Celui de la dramaturgie tendue vers un dénouement connu d’avance. Celui de la personnalisation de certains membres du groupe afin des incarner en personnages de cinéma avec leurs certitudes mais aussi leurs doutes, leur grandeur et leurs faiblesses.


 

Sur tous ces plans, le pari est tenu. Il y des aspects du film particulièrement réussis, comme la place donnée au personnage de flic terne mais tenace incarné par Jean-Pierre Darroussin, la peinture des quartiers juifs au moment des rafles.

Pourtant, si le film ne connaît pas de moment faible, il ne parvient pas à hisser ses personnages à ce statut de légende revendiqué par Guédiguian.


 


 

Les acteurs sont beaux, ils rendent leurs personnages sympathiques, mais certains manquent d’épaisseur dans leur jeu. Le souci d’authenticité dans le détail étouffe parfois le propos. On sent bien que Guédiguian n’est pas tout à fait à l’aise dans un registre qui est tellement étranger au cinéma qu’il sait le mieux faire.

On aimerait revoir L’Affiche rouge, le film que Frank Cassenti avait fait en 1976.
Et surtout, rien ne remplacera jamais les quatre minutes que dure le poème d’Aragon, chanté par Léo Ferré, en mémoire de ces héros dont on n’a retenu que le nom de Manouchian "parce qu’à prononcer vos noms sont difficiles". (1)

Nul ne semblait vous voir Français de préférence,
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant.
Mais à l’heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE.
Et les mornes matins en étaient différents.

Bernard Nave
Jeune Cinéma n°326-327, automne 2009

1. Léo Ferré, L’Affiche rouge.

L’Armée du crime. Réal : Robert Guédiguian ; sc : Robert Guédiguian, Serge Le Péron, Gilles Taurand ; ph : Pierre Milon ; mu : Alexandre Desplat. Int : Simon Abkarian, Virginie Ledoyen, Robinson Stévenin, Grégoire Leprince-Ringuet, Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Yann Trégouët, Lola Naymark (France, 2009, 139 min).



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